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442 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

grande œuvre historique de M. Ferrero, cette histoire de la ■Grandeur et Décadence de Rome, dont il n'aura écrit, et encore en partie, que la Grandeur. Même aventure à peu près était advenue à Mommsen, qui, après son histoire magnifique de la Répu- blique romaine, ne put arriver à mettre entièrement debout son histoire de l'Empire, les parties qu'il en a rédigées relevant d'ailleurs de la littérature de précis pour historiens, et non, comme l'histoire de la République, de la littérature générale et vivante.

Peut-être l'histoire romaine ne retrouvera-t-elle jamais un cerveau comme celui du vieil érudit allemand qui aurait pu s'appliquer le vers de Sertorius :

Rome n'est plus dans Rome : elle est toute où je suis.

Mais la Grandeur et Décadence de Rome de M. Ferrero, malgré toutes les querelles souvent fondées qu'on peut chercher à toute oeuvre de généralisation et les critiques que les érudits n'ont pas ménagées à la sienne, ne supporte pas plus mal le redoutable voisinage de Mommsen que celui de Montesquieu. Elle est pleine de ce sentiment de l'histoire vivante, qui manque à tant d'historiens, et des plus instruits. Elle repose sur une psycho- logie moins brillante peut-être que celle de Mommsen, mais d'une mesure, d'une finesse, d'un bon sens que le courant du style oratoire et certaine emphase italienne font parfois mécon- naître. Les portraits de Lucullus, de Cicéron, de César, d'Antoine, d'Auguste, sont solides et souvent neufs. Cer- taines physionomies de l'histoire romaine ne peuvent être, semble-t-il, entièrement saisies que par un Italien ; César et Au- guste sont déjà des figures italiennes modernes presque autant que des figures romaines antiques ; les apologies de César telles que les a lancées, d'un fond artificiel, l'histoire impériale à la Napoléon III ou l'histoire impérialiste à la Mommsen, paraissent un peu naïves et barbares à qui les voit de la Florence de Machiavel ou de la Rome papale. Le jour où la Grèce se sera fait une culture européenne, peut-être lirons-nous une histoire grecque écrite en grec par un Grec d'aujourd'hui. Elle ne pourra manquer d'être originale et d'atteindre à certaines pro- fondeurs de vérité, à certaines sources psychologiques natives où ne sauraient aller les Curtius et les Beloch.

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