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RÉFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 443

M. Ferrero a arrêté jusqu'ici son histoire à Auguste. Les quelques conférences qu'il publie aujourd'hui sous le titre de la' Fin de la Civilisation Antique ne sont-elles qu'une pierre d'attente pour une future histoire de l'Empire ? Il faut le souhaiter sans l'espérer. Il est même probable qu'on n'écrira jamais une his- toire de l'Empire Romain. Un Duruy peut bien l'entreprendre, mais un Mommsen est trop informé pour s'y risquer. Il sait qu'il peut lui arriver de donner pour pendant à sa République de marbre un Empire de plâtras ou de brique ; le grand rassem- bleur du Corpus inscriptionuin latinarum possède sous son regard tous ses documents, tous ses textes^ et il en sait la misère. Les inscriptions permettent de donner un tableau suivi de la vie administrative, militaire ou juridique à Rome ou dans les provinces, et Mommsen n'y manque pas. Des livres comme ceux de M. Gagnât sur l'armée romaine d'Afrique ou de M. Jéquier sur l'armée romaine d'Egypte peuvent, grâce à la littérature épigraphique ou papyrologique, concentrer beaucoup de lumière sur un point donné, fournir une vue claire et com- plète de leur sujet. Il n'en est pas de même de ce qui fait le massif solide de l'histoire, c'est-à-dire l'Etat et les hommes d'Etat. Ici les documents font défaut. Les restes auxquels, malgré les précautions de l'Empereur son parent, les rancunes des chrétiens ont réduit l'œuvre de Tacite fournissent, pour la période la mieux connue, une maigre provende, et d'ailleurs ce grand peintre, qui n'est pas un politique, ne saurait rendre à l'historien de l'Etat les services d'un Thucydide ou d'un Polybe, ni même d'un Salluste. A partir des Antonins, à peu près rien, et surtout rien de vivant, rien qui apporte à l'historien artiste, pour son œuvre, la pulpe d'une belle chair et l'ardeur d'un sang vif.

L'Histoire Romaine de Mommsen, et Grandeur et Décadence (sans \â Décadence') de M. Ferrero sont des œuvres de jeunesse, de celles qu'on écrit quand on est amoureux de l'histoire. Cette lune de miel n'a pas duré chez Mommsen, qui passa bien vite à sa phase de ménage érudit et critique. Elle paraît aussi bien obscurcie aujourd'hui chez M. Ferrero, qui est devenu un écri- vain politique, d'ailleurs excellent, un des « bons Européens » d'aujourd'hui. Mais ce n'était pas seulement cette ferveur de jeunesse, c'était aussi un admirable sujet qui fournissait une

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