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466 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

L’improvisateur extraordinaire qu’est Pierre Mille (et qu’il n’est devenu qu’après des années de voyages et de reportages à travers le vaste monde) écrit dans un style également im- provisé, mais qui se ressent de longues lectures, de Voltaire et aussi d’Anatole France et de Kipling et qui, s’il n’est pas à la dernière mode, si parfois même il est négligé, est en général nourri et savoureux, et toujours plaisant.

BENJAMIN CRÉMIEUX

LA BREBIS GALEUSE, par Henri Duvernois (Flammarion).

Henri Duvernois a inventé quelque chose qui est bien, après tout, une espèce de frisson. Il a inventé un sourire. Cette trou- vaille lui donne l’avantage sur tant de poètes conscients de la légitimité, de la santé, de la sainteté de ce sourire, bien assurés qu’il n’était pas le sourire de l’anti-poète et qui, pourtant, pour l’avoir trop laissé errer sur leurs lèvres ont gâté d’ironie anti- lyrique les plus rares paroles de poésie. Conteur, Henri Duvernois sait être bon sans être dupe. Il ne divinise pas le grotesque qui est un monstre, mais il ne lui marchande pas, malgré le sourire, cette pitié qui nous est d’abord nécessaire, car l’aumône est pour nous. Charles-Louis Philippe nous annonce magnifiquement cette vertu exceptionnelle. Ses lettres, plus que ses livres, le prouvent. Il plaint la petite prostituée, il maudit la société qui la veut esclave, mais elle l’attire, il la désire, et il la possède. Philippe devinait Dostoïewsky plus grand que Tolstoï malgré qu’on ait traduit le grand Russe en l’altérant.

Peu voluptueux, mais riche du sourire magique, Henri Duvernois, dans un sentiment qui désormais se précise, s’est installé au café des négociants où Tristan Bernard avait fait des mots avec génie.

Comme dirait un personnage de Duvernois « je ne sais pas si je me fais bien comprendre », mais depuis que j’ai lu ses romans qui le font descendre d’une grande famille par les B’iro’-t’^^ \, je trouve une infinie mélancolie à ces mots du commerce : bolduc, madapolam, lasting. Ils ne sont pas moins déchirants que les mots musiciens des symbolistes : asphodèle, guivre, sphinge !