AMANTS, HEUREUX AMANTS... 545
que dans le fond de ton cœur, ce n'est pasinga, l'amie déjà ancienne, que tu regrettes le plus, mais l'autre, celle qui est nouvelle pour toi, la mal connue. Oui, et si pendant un seul instant je pouvais songer à les suivre, c'est à cause de Romana que je le ferais. Quel bon souvenir, le baiser rapide et maladroit, pendant une courte absence d'Inga, dans le jardin du restaurant au bord du Lez... Plus doux que tous les autres souvenirs, pourtant bien plus intimes et bien plus précis, que j'ai d'elle. Plus doux que tous les autres bartsers donnés, avant et après celui-là, en présence d'Inga. Curieux, ce besoin de se cacher, et cette difficulté qu'il y a à concilier le libertinage et le sentiment. Pourtant, j'ai bien vu que pour elle ce baiser n'avait pas un sens différent. On allait se quitter dans une heure, et comment aurait-elle pu deviner qu'à ce moment-là je la préférais à Inga ? Mais non, je ne la préférais pas àinga. C'était autre chose. Ah, justement, c'était... Allons, laisser cela, n'y plus penser. Tout s'est très bien passé et ne pouvait pas se passer mieux : Inga apportant l'élément connu et familier, le thème principal, et Romana l'élément nouveau, les variations. Il y a eu, comme presque toujours, deux ou trois fautes de goût dans la conversation d'Inga. « Tu sais, Romana, notre Francia est un artiste, et comme tous les artistes il ne peut vivre pleinement que s'il a une femme près de lui. » Pleinement ! Et sans intention ironique ; sérieuse, à ce moment-là, comme une héroïne d'Ibsen. Et encore : que si je reste à Montpellier au lieu d'aller sur la Riviera, c'est parce qu'il est « plus original « d'être ici. Comment ne voit-elle pas la différence qu'il y a entre cette ville noble, occupée de ses propres affaires, vivant par elle- même, et la grande foire de la Riviera ? Elles y seront demain ; c'est très bien. Et j'ai bien fait de ne pas lui parler de celle à qui je pense ; elle n'aurait pas compris. Si elle avait dit : « moins banal » ; mais non, elle voulait bien exprimer que, si je passais l'hiver ici au lieu de le passer sur la Riviera, c'était par un désir de me distinguer et
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