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AMANTS, HEUREUX AMANTS... 553

responsable de ses péchés. Non, c'est inutile d'essayer de voir les gens que nous aimons ou qui nous intéressent comme les indifférents les voient. Les indifférents ne savent pas ; nous savons. C'est ainsi que la beauté et la grâce passent le plus souvent inaperçues, excepté de deux ou trois personnes qui sont les seules dont l'opinion vaille quelque chose, et soit vraie. Comme certains amants ou certaines maîtresses, qui restent fidèles à ce qu'ils aiment, en dépit de tout. Ils savent. Ah, elle est adorable quand elle s'incline pour baiser les chevilles d'un grand crucifix tout sanglant. Et ses mots, tout à coup, avec ce ton qui fait qu'on ne les oublie pas : « Une servante, une fille pauvre et sans appui, c'est un ange- dans la maison. » Et « Ça ne fait rien » si, le lendemain, l'ange s'envole en emportant une des bagues de Madame. Ou bien, elle se laissera voir, dans l'intimité, avec son amant, à cette fille digne de tant de respect. Et les crises de larmes, les caprices, le besoin de s'avilir, toute cette folie. Inga est fade auprès d'elle. Toute la journée, même quand je parlais à Inga et à Romana, je pensais à elle, et toute la journée j'ai eu, au fond de mon cœur, cette peine et cette inquiétude : ma dernière lettre, à laquelle elle n'a pas encore répondu. Ah, je vais la rejoindre. Ce soir même. Non, trop tard. Demain. Demain matin, le rapide, à cinq heures vingt- cinq. Le voyage, et l'arrivée sans avoir prévenu. Me retrouver chez elle. Je suis sûr de son accueil : avec elle, l'amant qui revient est mieux reçu que celui qui n'est jamais parti. La honte même d'être revenu sera douce. Elle feindra d'avoir oubhé notre dernière querelle. Le dîner, à l'ar- rivée, dans sa maison confortable ; le service bien fait ; le calme ; la tiédeur d'un foyer ; et après, sa chambre, où Madame deviendra la plus soumise des servantes. Les bancs de pierre sont encore tièdes du jour. Ah, il est calmant, le bruit de l'eau dans les bassins noirs dont les margelles luisent encore faiblement. Et des feuillages frémissent, là-bas, au-dessus des mânes apaisés de Narcisse. Des allées

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