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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 603

la lange anglaise marche depuis vingt an-s avec une rapidité iacroyable. Non seulement les débouchés du livre anglais le déversent sur la large partie du globe dont l'anglais est la langue Tiaturelle, mais son public français, germanique, slave, oriental •et extrême-oriental, s'accroît sans cesse. De là, d'ailleurs, un danger contre lequel le roman anglais a réagi à peu près jus- qu'ici, mais devant lequel sa force de résistance pourra fort bien s'allaiblir. C'est le danger commercial. Le roman, fabriqué en série pour unpublic peu difficile, exporté comme de la coton- nade ou de la verroterie, loué même à la grosse par la critique, sans discernement, des journaux quotidiens, est organisé en Angleterre par ateliers ou plutôt réparti, comme les vêtements de confection, dans un travail à domicile, qui nourrit son homme et plus souvent sa femme.

Un immense public, dit M. Chevalley, assez cultivé pour ne pas goûter les histoires sentimentales des feuilletonistes, mais trop occupé ou trop superficiel pour chercher dans la lecture autre chose qu'un divertissement sans fatigue, fait vivre une foule de romanciers et absorbe chaque année des tonnes de littérature. C'est à ces lecteurs et à ces auteurs que pense l'étranger quand il constate le goût déplo- rablement facile du public et la puérilité des œuvres dont il se nourrit. On oubUe que, d'après un calcul approximatif, dix-sept millions d'An- glais sur quarante lisent au moins un volume de fiction par mois. Si nos écrivains avaient ce même nombre de clients, est-on sûr qu'ils seraient moins puérils, moins prolixes ?

Le roman anglais a, comme le rat, une queue longue et froide. Mais le genre reste vigoureux et sain. Certes M. Che- valley exagère (à moins qu'il ne veuille parler du nombre d'exemplaires vendus) lorsqu'il écrit que « le petit nombre des romans anglais égaux aux meilleurs des nôtres, quoique diffé- rents, dépasse à lui seul notre production totale ». Il n'en est pas moins vrai que, du point de vue de la qualité, de l'invention et de la vie, le massif du roman anglais dépasse le nôtre. Rien de plus différent d'ailleurs que la carte littéraire des deux pays. La littérature française est une durée, une continuité de quatre siè- cles qui, d'une plénitude presque égale, s'enchaînent, se succè- dent, se commandent de façon à donner dans leur ensemble même l'impression d'une œuvre d'art. La suite de la littérature française est une suite bien composée, une vie humaine dont

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