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6l6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

son intimité, chez lui, le dimanche, quand il reçoit ses amis et toutes autres personnes qui désirent le voir :

Il reste chaque dimanche chez lui pour recevoir. Une pièce pour les amis, une seconde pour les raseurs, et il va de l'une à l'autre, expé- diant ceux-ci, s'attardant près de ceux-là, à moins que soudain, s'impo- sant à soi-même une sorte de pénitence, il ne subisse volontairement le discours d'un importun. Il se met à l'épreuve pour voir un peu. Il s'enferme avec le fâcheux, qui est dans le ravissement. Doux et résigné, Antoine écoute, il approuve, il sourit. On l'attend ; il ne revient plus. Quand tout à coup, les amis à côté entendent une explosion formi- dable. C'est Antoine qui éclate ! Est-ce que l'indiscret a été trop loin ? Il se croyait pourtant triomphant mais le voici no}-é dans un déborde- ment de rage, tel qu'Antoine seul en peut avoir. Le pauvre, terrifié, prend la fuite ; une porte claque : Antoine reparaît.

— Ah ! le salaud !

Le masque d'Antoine, dans ces minutes-là, est inouï d'expression, à la fois passionnée et blagueuse ; il ne sait plus s'il doit rire ou se fâcher encore ; il vient de « gueuler » comme il dit, à cet imbécile per- nicieux que c'était trop, qu'il y avait des limites, qu'il voulait le voir immédiatement décamper. Puis l'autre disparu, il se juge et il s'amuse. Son œil frise et sa bouche goguenarde répète :

— Ah ! le salaud !

C'est une de ses phrases préférées.

M. Antoine, malgré le travail de toute sa vie, n'est pas riche, et,' comme tous les gens sans fortune, il s'habille comme vous et moi. Il semble qu'il s'en fasse gloire d'une façon un peu ostensible :

— Je n'ai pas le sou, moi, pas un liard ! Peux pas m'habiller comme monsieur de Fouquières ! A mon âge, je me couche à une heure du matin et me lève à sept, pour gagner de quoi bouffer !

M. Antoine, comme tous les comédiens, est enthousiaste du cinéma. « Sa grande beauté, dit-il, c'est qu'on turbine en pleine nature. » Entendez qu'au lieu de prendre des poses, de trouver des effets et de se donner des airs inspirés au milieu d'un décor peint, on fait tout cela devant des arbres et des maisons pour de bon. Tourner cette niaiserie qui s'appelle VArUsienm l'a emballé, positivement. Nous voici à Arles. M. René Benjamin arrive pour le rejoindre et, sans savoir dans quel hôtel il est descendu, il le cherche. Il le trouve, rien qu'en reconnaissant son vocabulaire :

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