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LES REVUES 639

fugitives qu'entraînent les mots avec eux composent dans notre esprit une sorte de lointain harmonieux et mobile. Mais il s'arrange pour que le sens du vers ne cesse d'occuper, de remplir notre attention, pour que le personnage ne s'évanouisse pas dans le décor.

Cette règle du jeu, les symbolistes l'ont méconnue ou l'ont enfreinte délibérément. La fameuse « alchimie du verbe » ne tend à rien d'autre, et il est bien vrai que l'essence de la poétique symboliste tient dans une rêverie de Rimbaud.

Certes, le symbolisme ne fut pas que cela. Si l'on raisonne à la rigueur, l'insurrection du langage n'était pas logiquement incluse dans son programme. Mais en fait il ne pouvait guère l'éviter.

Il ne faut pas croire que les mécanismes du langage ne demandent qu'à rester dans l'état de soumission. Tout au contraire. Ils ne cher- chent que l'occasion de s'émanciper. Chez l'individu ordinaire, ils guettent le moindre affaiblissement de la pensée pour commencer leur sarabande. Le langage ne fait honnêtement son travail d'expression que tant qu'on se donne la peine de l'y contraindre. Dès que la pensée tourne le dos, le langage s'amuse.

Or, pour la pensée symboliste, tourner le dos n'était pas un acci- dent, c'était un système. La théorie même de l'expression indirecte mettait entre la pensée et l'expression une distance et un détour qui devaient rendre peu à peu illusoire l'autorité de la pensée.

Plus loin, parmi les responsables du renouveau récent du symbolisme, Romains place au premier rang Guillaume Apol- linaire :

Même si l'avenir devait se montrer sévère pour une bonne part de ses oeuvres, il ne saurait oublier ce curieux génie qui fut placé par le destin à l'entrée du siècle vingtième comme phare naufrageur ou comme « perturbateur du trafic ».

Je crois d'ailleurs qu'aucun éloge n'aurait pu le toucher davantage. Cet ami des vieilles légendes n'eût pas détesté qu'on lui prêtât un rôle de magicien, de faux prophète ou même de diable. Ce serait aller un peu loin. Mais on se tromperait plus encore en refusant de reconnaître l'influence qu'il a exercée.

Apollinaire fut fidèle au symbolisme par goût, par inclination natu- relle, et par manque d'appétit pour autre chose, en un temps où le symbolisme était abandonné de tous, même des écrivains qui l'avaient fondé. Le symboHsme flattait en lui l'homme de bibliothèque, l'ama- teur des singularités, et la tête la plus sensible que j'ai connue à l'ivresse verbale. Il en convenait assez volontiers.

Son âme fut l'arche de Noé du symbolisme ; il y enferma les pré- ciosités, les obscurités et les « déliquescences » de la bonne époque. Il

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