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666 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

de dévotion beethovenienne ; et bravement, je n'en doute pas ; en bonne justice cet officiant de la musique allemande aurait mérité de trépasser en célébrant la messe en Ré. Mais il était au demeurant homme à accueillir la Camarde avec un trille, car cet exécutant de génie retrouvait parfois dans son ascendance de Champenois parisianisé, des crâne- ries et des élégances de garde-française. »

De la hauteur où nous étions, déjà la mer n'était plus, ainsi qu'à Balbec, pareille aux ondulations de mon- tagnes soulevées, mais au contraire, comme d'un pic, ou d'une route qui contourne la montagne, un glacier bleuâtre, ou une plaine éblouissante, situés à une moindre altitude. Le déchiquetage des remous y semblait immobi- lisé, et avoir dessiné pour toujours ses cercles concen- triques ; l'émail même de la mer qui changeait insensible- ment de couleur, prenait vers le fond de la baie, où se creusait un estuaire, la blancheur bleue d'un lait où de petits bacs noirs qui n'avançaient pas semblaient empêtrés comme des mouches. Je ne croyais pas qu'on pût décou- vrir de nulle part un tableau plus vaste. Mais à chaque tournant une partie nouvelle s'y ajoutait et quand nous arrivâmes à l'octroi de Doville, l'éperon de falaise qui nous avait caché jusque-là une moitié de la baie, rentra, et je vis tout à coup à ma gauche un golfe aussi profond que celui que j'avais eu jusque-là devant moi, mais dont il changeait les proportions et doublait la beauté. L'air à ce point si élevé devenait d'une vivacité et d'une pureté qui m'enivraient. J'aimais les Verdurin ; qu'ils nous eussent envoyé une voiture me semblait d'une bonté attendrissante. J'aurais voulu embrasser la Princesse. Je lui dis qu€ je n'avais jamais rien vu d'aussi beau. Elle fit profession d'aimer aussi ce pays plus que tout autre. Mais je sentais bien que pour elle comme pour les Verdurin la grande affaire était non de le contempler en touristes, mais d'y faire de bons repas, d'y recevoir une société qui leur plaisait, d'y écrire des lettres, d'y lire, bref d'y vivre, laissant passi-

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