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RÉFLEXIONS SUR LA LIÎTÉRATURE 72 1

fications et de mises au point, représente une vérité vivante, une vérité en mouvement, celle dont sont susceptibles les réa- lités de l'ordre moral.

Il arrive à tous les philosophes comme à tous les critiques de se tromper. Mais d'abord ces erreurs se rectifient les unes les autres. Et ensuite il y a des manières de se tromper qui valent pour nous des vérités. Nous croyons que le mécanisme de Des- cartes a été une erreur. Et cependant quelle terrible lacune il y aurait dans notre capital de vérités si cette erreur n'avait pas été commise ! Qjaand M. Vandérem se livre à une exécution de Doniiinque, qu'il n'aime pas, et qui est pour lui ce qu'était Madame Bovary pour Pierre Gilbert, un faux chef-d'œuvre, je ne suis pas de son avis, mais je ne puis lui dire autre chose que d'y aller carrément et de pousser ferme. Car, après avoir lu M. \'andérem, je sais sur Dominique ce que je ne savais pas avant, ou que je savais mal, que le roman de Fromentin a tout ce qu'il faut pour ne pas intéresser le pur Parisien de Paris, et pour la même raison qui fait que ledit Parisien mettra Baudelaire infiniment au-dessus de Lamartine et de Mistral. Il y a beau- coup plus de vérité dans un critique que nous ne l'imaginons quand nous ne sommes pas de son avis. Et il en est de même des philosophes.

Dans leur principe, toutes les grandes philosophies ont leur âme de vérité, et, au-dessus de leur vérité, il faut voir la vérité du mouvement qui les complète les unes par les autres, du clair- obscur mutuel qui met en valeur leurs lumières et leurs ombres, de la philosophie qui les enveloppe comme la religion enveloppe les religions, comme le sentiment de la patrie enve- loppe les patries. Il n'y a pas plus de quoi tomber en angoisse devant les contradictions apparentes de deux philosophies qui se complètent que devant l'hostilité et la haine héréditaires de deux nations ou de deux races dont chacune incarne une face de la réalité humaine et participe pour sa part à l'être de la planète. Mais le fait que l'illusion de M. \'andérem est un lieu commun nous l'indique comme naturelle et tenace. Et comme toutes les illusions de ce genre elle a une double raison, dans le sujet et dans l'objet. Elle tient à un caractère des esprits ingénieux et brillants comme M. Vandérem, et à un caractère de la philosophie elle-même.

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