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avec la vie et le pouvoir qu'il exerce sur elle. Le grand mérite de Jacques Chardonne, c'est que jamais le spectacle ne le prend au dépourvu, et que jamais non plus il ne l'induit à un souli- gnement, — ou à un commentaire qui ne soit pas strictement indispensable, j'entends qui ne fasse pas partie de l'action au même titre que tout le reste.

Lorsqu'un auteur est investi de ce don, il court le danger de sa maîtrise même et je ne dis pas que VEpithalame y échappe complètement. Une analyse très serrée y relèverait sans doute çà et là un chapitre où le don est exercé pour lui-même. L'épi- sode théosophique en particulier ne me paraît pas avoir sur la vie du couple un retentissement qui le justifie. Mais dans les romans-natures que définissait hier Albert Thibaudet (et VEpi- thalame en est un), dans ces romans dont il disait si bien qu'ils sont « déposés » plutôt que « composés », il est toujours délicat de se prononcer trop vite sur ce point. Il convient en outre de ne jamais oublier ce que rappelle Percy Lubbock dans son admi- rable traité sur la Technique du Roman, à savoir que pendant qu'il écrit une page, un romancier véritable fait face à une dou- ble tâche : plus encore qu'il ne l'écrit pour elle-même, il l'écrit pour accroître la portée d'une autre qui viendra longtemps après, et le départ est très difficile à établir entre les moments où le romancier prépare tout en ayant l'air de marquer le pas et ceux où il le marque en effet.

Quand il s'agit d'un récit, il semble qu'un instinct nous guide à cet égard, et pour prendre un exemple récent qui nous soit à tous familier, le passage sur la vie de M""^ Sagune constitue l'unique hors-d'œuvre dans le beau récit de Jean Schlumberger : Un Homme Heureux. Mais précisément, VEpithalame n'est à aucun degré un récit, et le cas de ce livre me reporte à la dis- tinction que voulait établir autrefois Paul Bourget lorsqu'il disait : « Un roman n'est pas de la vie représentée : c'est de la ' vie racontée. » Il faut relire dans l'étude sur Taine romancier l'intéressant développement où Bourget discute le point. Je ne serais pas éloigné de lui donner gain de cause toutes les fois où l'objectivité ressortit à une volonté délibérée, mais il existe un petit nombre de romanciers chez qui l'objectivité au contraire, parce qu'elle naît d'un don sur lequel son possesseur ne peut rien, rejoint ce naturel même dont Bourget regrette chez d'autres

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