Page:NRF 17.djvu/757

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

NOTES 751

sûrement l'orage ; — la formidable, dérisoire disproportion entre le point de départ et les résultats de la querelle ; — le brusque débouché dans la haine, puis les mille variantes du retour ; maîtrise qui provient en partie de ce que Jacques Chardonne a un sens aigu de cette loi des contre-temps qui scande à l'ordinaire toute vie sentimentale. On ne peut lire les 225 premières pages du second volume de l'Epithalame sans qu'à chaque instant on se surprenne à les accompagner de tous les commentaires que l'auteur a eu soin de s'interdire.

Un des écueils dans le roman-nature, c'est de savoir trouver le moment où doit être mis le point final, et un juste instinct nous porte à ne pas accorder trop d'importance à leurs dénoue- ments. Il est certain que si l'on écarte la mort — ficelle des médiocres, mais tremplin incomparable des plus grands — il n'y a jamais de raison tout à fait décisive pour qu'un roman- nature se termine : le plus souvent, la sagesse du romancier arrête le livre lorsque la vie des personnages en est arrivée à ce point où elle comporte encore les agitations indéfinies de la surface, mais non plus ces lames de fond qui viennent tout bou- leverser. Ici cependant l'auteur du roman-nature est exposé au péril de réintégrer une de ces idées sur la vie dont jusque-là il a su si bien se passer. Jacques Chardonne a fait montre de beau- coup de tact dans la manière dont il a paré la difficulté : « Son- geant à Emma et à elle-même, à l'amour, à la vie, et pour mieux définir ses réflexions, elle tâchait de se remémorer une phrase entendue naguère, et dont elle ne se rappelait que ces mots : « le lit du fleuve ». Lorsqu'elle se répétait « le lit du fleuve », ce bout de phrase au sens vague lui représentait la consistance d'une vie organisée autour du même axe, cette relation du présent au passé, cette réalité durable d'un sentiment consacré par les épreuves spirituelles ; et puis le court trajet des voies déviées. » Ce « bout de phrase au sens vague » ne vaut pas seulement ici par la justesse psychologique, — parce qu'il traduit le besoin qu'éprouve un esprit féminin à l'issue d'une crise de se raccrocher à quelque chose de concret qui la résume ; il tempère aussi par une image ce que l'idée générale pourrait prendre de trop mécanique et de trop arbitraire ; et la relative incertitude sur laquelle se clôt VEpithalame, que Jacques Chardonne laisse planer sur l'avenir du couple, fait que dans le

�� �