LE SECRET DU POLICHINELLE 7I
— Qu'est-ce que tu penses ?
— Je prépare mon brevet, dit l'enfant plein de lassitude. Là-dessus, M. Alfred Saintour s'indigna.
— Voilà bien la génération nouvelle ! Tous brevetés, tous fonctionnaires !... On ne t'apprend donc rien de sérieux à l'école ?
C'était un beau sujet. Victor le comprit et s'y jeta pour oublier sa peine. Il n'avait de rancune contre aucun de ses maîtres, il les accusa tous avec impartialité. L'orthographe était bizarre ; l'arithmétique, compliquée et absurde ; l'his- toire naturelle, pauvre en images ; la morale, stupide ; l'anglais, on n'y entendait rien de rien. L'oncle commença par approuver le neveu : il buvait ses phrases, passant une paume sur sa barbe comme après un bon coup de vin ; et parfois, il faisait les questions et les réponses. Puis ses sourcils se froncèrent, il agita les mains du geste dont on apaise un beau chien qui bondit, et il arrêta l'élo- quence.
— Tu exagères, Victor, ils ont bien du dévouement. Tes maîtres sont les meilleurs serviteurs de la République.
— Oh, bien sûr ! dit l'enfant.
— Tout de même, conclut M. Saintour avec satisfaction, je suis content de voir que mes conseils ont porté leur fruit. Tu ne te laisses pas imposer des idées toutes faites, tu exerces cet esprit critique que je t'ai recommandé.
— Oui, hypocrite ! pensa Victor derrière une déférence doucement niaise.
Ils se turent. Une bonne blanche, sur la terrasse, prépa- rait la table. Elle allait et venait avec des chaises, un f^m- teuil, des couverts. C'était une fille vive avec un sourire net dans son visage ovale. Victor la regarda une ou deux fois sans parler. Crépuscule l'avait trahi. Son oncle jouait avec lui comme avec un caniche, la vertu ordonnait de mépriser Dieu. Sa chair lui semblait partout meurtrie ainsi qu'après une courbature. M. Saintour l'épiait en pei- gnant sa grande barbe.
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