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DOSTOÏEVSKI 131

M"^ Hoffmann dans sa biographie de Dostoïevski (la meil- leure et de beaucoup, que je connaisse — mais qui n'est pas traduite, malheureusement), mot par lequel elle pré- tend précisément nous faire sentir une des particularités de l'âme russe." Ce Russe donc, à qui l'on reprochait son inexactitude, ripostait très sérieusement : « Oui, la vie est difficile ! Il y a des instants qui demandent à être vécus correctement, et qui sont bien plus importants que le fait d'être exact à un rendez-vous. » La vie intime est ici plus importante que les .rapports des hommes entre eux. C'est bien là, ne croyez-vous pas, le secret de Dostoïevski, ce qui tout à la fois le rend si grand, si important pour quelques uns, si insupportable pour beaucoup d'autres.

Et je ne prétends pas un instant que l'Occidental, le Français, soit de part en part et uniquement un être de société, qui n'existe qu'avec un costume : les Pensées de Pascal sont là, les Fleurs du Mal, livres graves et solitaires, et néanmoins aussi français que n'importe quels autres livres de notre littérature. Mais il semble qu'un certain ordre de problèmes, d'angoisses, de passions, de rapports, soient réservés au moraliste, au théologien, au poète et que le roman n'ait que faire de s'en laisser encombrer. De tous les livres de Balzac, Lanis Lambert est sans doute le moins réussi ; en tout cas, ce n'était qu'un monologue. Le pro- dige réalisé par Dostoïevski, c'est que chacun de ses person- nages, et il en a créé tout un peuple, existe d'abord en fonc- tion de lui-même, et que chacun de ces êtres intimes, avec son secret particulier, se présente à nous dans toute sa complexité problématique ; le prodige^ c'est que ce sont précisément ces problèmes que vivent chacun de ses person- nages, et je devrais dire : qui vivent aux dépens de chacun de ses personnages — ces problèmes qui se heurtent, se combattent, et s'humanisent pour agoniser ou pour triom- pher devant nous.

Il n'y a pas de question si haute que le roman de Dos- toïevski ne l'aborde. Mais, immédiatement après avoir dit

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