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ne suis pas ici pour toujours », se répète-t-il constamment ; « bientôt, bientôt je serai là-bas. » Là-bas c’est la liberté. La véritable vie, riche, pleine de signification, n’existe que là où l’homme voit au-dessus de lui non plus un petit coin du ciel, mais un dôme immense, là où il n’y a plus de murs, mais où s’étend un espace infini, là où la liberté est illimitée — en Russie, à Moscou, à Pétersbourg, au milieu d’hommes intelligents, bons, actifs et libres.

II

Dostoïevsky a terminé son temps de bagne ; il a fini aussi son service militaire. Il est à Tver, puis à Pétersbourg. Tout ce qu’il attendait se réalise. Il est un homme libre, comme tous les hommes dont il enviait le sort lorsqu’il portait des chaînes. Il ne lui reste donc plus qu’à accomplir les engagements qu’il a pris en prison vis-à-vis de lui-même. Il faut croire que Dostoïevsky n’a pas oublié si tôt ces engagements, son « programme » et qu’il a fait plus d’une tentative désespérée pour arranger sa vie de telle sorte que les « anciennes chutes et les anciennes erreurs » ne se répètent plus. Mais il semble que plus il s’y est efforcé, moins il y a réussi. Il fit bientôt la remarque que la vie libre ressemblait de plus en plus à l’existence du bagne et que « jadis le ciel tout entier » qui, lorsqu’il était en prison, lui paraissait illimité, l’oppressait et l’écrasait tout autant que les plafonds bas du bagne ; que les idéals à l’aide desquels il apaisait son âme au temps où il vivait parmi les derniers des hommes, que ces idéals n’élevaient pas l’homme, ne le libéraient pas, mais l’enchaînaient et l’humiliaient tout autant que les fers qu’il portait au bagne. Le ciel oppresse, les idéals enchaînent et l’existence humaine tout entière n’est plus qu’un sommeil lourd, douloureux, plein de cauchemars.

Comment cela s’est-il produit ? Hier encore Dostoïevsky