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208 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

retire-t-il dans une chambre modeste, dans un quartier qu'on ignore, cachant là sa pauvreté et ses regrets ou ses déceptions, ne laissant voir à tous que le beau de son personnage. Je l'as- socie dans ma pensée à ces vieux acteurs sans gloire que j'ai connus dans mon enfance et dont le type plein de pittoresque tend de plus en plus à disparaître.

Il entra donc, et dans ma surprise j'étais encore à le regarder qu'il médit : k Eh ! bien, il paraît que vous faites de la critique dramatique. J'ai appris cela l'autre jour, qu'on parlait de votre père et que la conversation est venue sur vous. La critique dra- matique ! Cela m'intéresse. C'est encore du théâtre. Ecrirez- vous quelque chose sur Molière, qu'on célèbre en ce moment ? C'est un grand sujet. C'est à lui seul presque tout le théâtre. C'en est, en tout cas, un côté considérable, Molière... »

Je sentais qu'il allait se lancer et je répondis aussitôt : « C'est un grand sujet, justement, et c'est pourquoi je ne me risquerai pas à le traiter. Je ne suis pas comme vous, qui savez si bien parler de ce que vous aimez. (11 sourit d'un air avantageux à ce compliment). Moi, l'admiration me rend timide, me remplit de scrupules, je doute de mes forces et souvent je préfère me taire. Si je vous disais que les pièces que j'ai le plus admirées, et qui méritaient de l'être, j'en ai rarement rendu compte dans mes chroniques dramatiques. Leurs auteurs ont certainement dû se tromper sur l'opinion que j'en avais. Ils ont dû croire que je trouvais leur œuvre négligeable, qu'elle ne m'avait pas plu, et que, peut-être, plutôt que d'en dire du mal, j'avais jugé mieux de me taire. C'était précisément le contraire. Je ne me taisais que parce que je doutais de mes moyens pour parler de ces pièces comme elles méritaient qu'on en parlât, pour dire tout le bien que j'en pensais. Je me sentais peu de chose à côté de ces auteurs et mon talent bien mince auprès du leur. Comment dire tous ces mérites, ce ton naturel et vrai, ce dialogue aisé et vivant, ces personnages criants de ressemblance, l'émotion contenue dans telle scène, le comique se dégageant de telle autre ? J'étais sorti du spectacle plein d'enthousiasme, de plaisir, plein du contentement qu'il existât encore des auteurs dramatiques de cette sorte à une époque où ils se font décidément rares. Je m'étais dit qu'il y avait là matière à une belle chronique, j'étais fermement résolu à l'écrire, et le

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