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CHRONiaUE DRAMATIQUE 209

moment venu, timide, embarrassé, hésitant... Que de fois je l'ai senti et je me le suis dit qu'il est plus facile de dire du mal d'une mauvaise pièce que démontrer les mérites d'une pièce excellente ! Cela m'est arrivé notamment pour L'Indiscret, de M. Edmond Sée, une oeuvre vraiment remarquable...»

Mon vieil ami ne m'écoutait pas. 11 avait posé son chapeau, avait pris un fauteuil, l'avait approché de la cheminée, et, face à la glace, s'était assis. Il m'interrompit : « Molière... »

« Je dois l'avouer, lui dis-je, j'ai été longtemps avant de l'ai- mer. Je me rappelle comme il me déplaisait quand j'étais un jeune homme. J'avais à ce sujet des discussions avec mon père. Je le trouvais bas, commun, terre à terre.

Je vis de boinie soupe et non de beau la)igage...

ce vers, dans lequel je voulais voir toute sa philosophie, m'in- dignait. Je trouvais sa langue triviale, sans élégance, manquant de finesse. Cette santé d'esprit et d'expression, qui est un de ses grands mérites, me choquait. J'avais cet idéalisme et ce romanesque de la jeunesse, lesquels sont souvent si loin de la vérité. Et, comme on est à cet âge, je m'entêtais. Le Misanthrope seul me plaisait... En un mot, je ne le connaissais pas et je manquais d'expérience pour le juger et l'apprécier. Depuis, je me suis joliment rattrapé. Je le dis souvent dans une association qu'on m'a quelquefois reprochée : Molière et Shakespeare. Voilà à mon avis les deux pôles du théâtre. Je donne pour eux tous les Grecs et tous les Romains, tous les Corneille et tous les Racine. Quand on a vécu, et qu'on a su vivre en observant, et qu'en observant on a su retenir, on ne peut pas ne pas aimer Molière, qui a peint les hommes si véri- diquement. Il a, lui aussi, sa poésie, qui est grande, et sa mélancolie, qui est pénétrante, et sa passion, qui est profonde. Une grande partie de son œuvre est son histoire, sous bien des personnages c'est lui qui s'exprime, et c'est encore ce qui le fait si humain. Et quelle fantaisie, quelle simplicité, quel don du comique et de la satire, quels accents vrais et touchants, quelle merveilleuse galerie... »

« Molière... », dit une nouvelle fois mon vieil ami, l'ama- teur de théâtre. Il s'était assis à son aise, les jambes allongées au feu. Il faisait de sa main droite des mouvements légers dans

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