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2l8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

un beau caractère d'homme et d'écrivain. Dans son œuvre trop abondante le choix est déjà fait. M. Mauclair n'a rien voulu en sacrifier, l'a analysée tout entière avec la même piété, et il rame difficilement sur cette barque trop chargée. Ce qui restera, c'est la suite de romans sur la famille Héricourt, î'En- Jant d'Austerlifi, la Force, la Ruse, mémoires romancés d'une inspiration puissante, où il y a seulement trop de maçonnerie, de carbonarisme et autres fariboles. On tirerait du reste au moins un volume d'admirables pages choisies. M. Mauclair dit avec raison que Paul Adam auteur de nouvelles mériterait d'être moins méconnu. Il met justement à sa place le Serpent Noir, qui reste un des beaux romans d'Adam. Quant au Trust, sur lequel comptait surtout l'auteur et qui était, je crois, son œuvre favorite, c'est un roman fort artificiel que M. Mauclair compare un peu imprudemment à ceux de Jack London. Le livre de M. Mauclair sera des plus utiles à qui voudra étudier dans sa ViQ profonde la génération littéraire qui va de 1889 à la guerre,

ALBERT THIBAUDET

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��POÈTE TRAGIQUE, par André Suarès (Emile Paul).

Les feuilles qui composent un livre de M. Suarès paraissent, comme celles où écrivaient les oracles, jetées quelque peu au hasard de l'inspiration. Mais peu importe : de Marc-Aurèle à Montaigne et à Pascal, il ne manque pas de grands livres humains qui sont complètement affranchis du parti-pris de la composition. Ce serait léser l'auteur de Poète Tragique que d'ap- précier seulement la netteté de médaille et le son métallique d'admirables phrases, qui roulent sous les yeux comme des pièces d'or sous les doigts. Ce qui fait l'intérêt de ce gros livre, comme de ces portraits en vingt pages qui demeurent pour moi (avec le Voyage du Condottiere) le meilleur de l'œuvre de M. Suarès, c'est la passion âpre qu'il met à revivre pour son propre compte la vie d'un grand homme, la conviction rude, la hardiesse de condottiere, avec laquelle il s'installe en un Shakespeare comme en un Salluste ou un Pascal, pour dire non pas : La maison m'appartient ! mais tantôt : A nous deux ! et tantôt : Nous deux. Dans ce livre ce n'est ni Shakespeare ni Suarès que nous avons sous les yeux, mais un magnifique com-

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