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NOTES 245

réflexion plus ferme, une plus large culture, des relations amicales avec l'esprit latin, ont rendu M. Bojer autrement capable de suivre la courbe d'un vrai caractère. Dans la Grande Faim, l'importance accordée aux circonstances exté- rieures, les vides immenses qui divisent l'action, le refus d'une logique étrangère au réel, ne nuisent point à cette logique plus profonde qui saisit une loi de constance sous les variations de l'être intérieur. Notez pourtant que la conclasion — où le sens de la vie se découvre à la clarté d'un pardon surhumain — répond sans doute à un dessein préconçu d'apostolat. Pour l'amener, l'auteur a dû forcer les événements, mais non fausser son personnage : on comprend que celui-ci, dans la ruine de ses forces, finisse précisément ainsi, bien qu'en d'autres con- jonctures il pût finir autrement.

L'histoire d'Andréas Berget est assurément plus simple ; l'intérêt en est d'étaler, dans le grossissement d'un cas mor- bide, un bon nombre de motifs présents en chacun de nous. Le Caméléon, ce garçon menteur qui devient escroc de haute volée, c'est le faible cherchant sa force dans la ruse ; mais c'est en même temps l'acteur heureux d'imiter les gestes, le poète heureux d'imiter les âmes, l'imaginatif accueillant aux rêves — , et tout homme enfin, qui voudrait être plusieurs hommes et mener plusieurs vies. En l'absence de tous motifs qui lui opposeraient leur frein, le hovarysme peut ainsi s'exas- pérer en manie. L'écueil du sujet réside en ceci que, le thème une fois donné, chaque lecteur peut de lui-même inventer les variations. Avec trop d'aventures, ou trop peu, nous aurions là soit un récit qui se répète, soit un schème tout sec, un dessin sans couleur. Le goût de M. Bojer se reconnaît au choix, au rythme et à la gradation des faits ; il nous donne, à ce qu'il me semble, tout le nécessaire et rien de plus. Il fallait le cha- pitre d'amour pour montrer le trompeur pris à son piège et s'éveillant,. par un peu de douleur, à la sincérité. Il fallait le chapitre final de la prison pour montrer la vocation plus forte que toutes les épreuves, le démon intérieur triomphant dans la tolie au seuil même de la mort.

MICHEL ARNAULD

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