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LE TRIPTYQUE DE M. ABEL HERMANT 267

choses dans leur nature la plus intime, la plus profonde, la plus « mystérieuse ». De cette pénétration la nouvelle œuvre de M. Hermant donne maint exemple ; par-dessus tout dans cette merveilleuse analyse de la « paternité passionnée » de Philippe, de ce père qui se sent heureux que son fils ne ressemble qu'à lui, que la mère n'y ait pas mis sa marque, qui, le retrouvant mutilé, souffre de cette humiliation, de cette diminution de la chair qu'il a créée, tandis que pour la mère au cœur simpliste il suffit que l'enfant vive. J'ai idée que bien des pères se sentiront décelés au plus secret de leur cœur par de telles pages, et, plus généralement, tous les parents par la notation de cette tendance qu'ont Philippe et Madeleine, quand ils croient leur fils mort, à se le rappeler surtout enfant, de leur joie, lorsqu'il leur est rendu, à retrouver en lui le sourire du premier âge. Saint-Evremond loue un de nos grands tragiques « d'être allé jusqu'au fond de l'âme de ses personnages pour y voir former les passions, y découvrir ce qu'il y a de plus caché dans leurs mouvements », ce qui ne veut pas dire du tout (il ne l'en eût d'ailleurs point loué) d'avoir épandu aucune ombre de mystère sur ces profondeurs. L'œuvre de M. Hermant me semble tomber souvent sous le coup de cet éloge. Au surplus, des lignes comme celles- ci sont parfaitement baignées de mystère dans leur teneur analytique ':

Rex avait levé les yeux sur son père et le gênait d'un de ces inquiétants regards d'enfants, dont on ne sait jamais s'ils sont vagues et vides, ou s'ils contiennent, avec l'immense mémoire de tout le passé, la prévision de tout l'avenir.

M. Abel Hermant, disions-nous, pose toujours ses idées dans le concret ; plus exactement, il ne les conçoit qu'insérées en des mouvements de sensibilité humaine, liées à des âmes. Ce trait, qu'il a encore transmis à son héros (Philippe le note dans une page émouvante [1]) fait bien de

  1. I. L'Aube ardente, p. 267. Déjà le narrateur de la Discorde déclare se désintéresser de toute notion qui « ne s'associe pas à une figure animée ».