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LE TRIPTYQUE DE M. ABEL HERMANT 275

plus, l'auteur sait ce qu'il fait quand il achève son œuvre sur un retour de Philippe à la cité galloise ; l'impression qu'il veut nous laisser, c'est que les drames de la vie de son héros, de la génération qui a vu la guerre, passent pour lui au secorid plan devant les enchantements de Le- febvre à Oxford et ses autres émois de même nature.

Et alors, devant cette étrange échelle de valeurs, devant ce dilettante qui subordonne les plus grands mouvements de l'histoire à des émotions de luxe parce qu'elles lui sont chères, on reste un moment interdit. On reprend, non sans révolte, (comme quand M. de Porto-Riche faisait ]ouev \e Marchand d'estampes au début de 19 18, pendant la défection russe et la terrible menace allemande) le mot du vieux Romain à propos d'un autre voluptueux :

Bella gérant alii ; Protesilaus amat !

Mais bientôt on se ressaisit, on se dégage de cette véné- ration dont s'aveugle toute époque pour les événements qui ont été sa chair et son sang ; et on découvre alors, que c'est le dilettante qui voit juste, que c'est lui qui fait une classification vraiment philosophique des choses, qui su- bordonne l'anecdotique à l'éternel ; que le cataclysme de 1 9 1 4 est un épisode par rapport au « miracle grec » et à l'amitié des creurs virils, et que les jeunes voix de Lysis et de Ménexène répondant à Socrate sous les platanes de rilyssus ont plus de retentissement dans la mémoire des hommes que le fracas des armes de Chéronée. La trilogie de M. Hermant pose, et dans la même lumière de grâce, dans la même abolition de dogmatisme, la même hiérar- chie de valeurs que Thaïs ou que l'œuvre historique de Renan. Elle est bien l'expression — une des dernières peut-être et non la moins précieuse — de la France intel- lectualiste et spéculative, dans son contraste avec la France montante, éprise, nécessairement hélas ! et peut-être pour son salut, des religions de la morale et de l'action.

JULIEN BENDA

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