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292 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'orateur discutent ses mérites, le décrivent, le miment et donnent un avant-2;oût de sa manière. Ils discourent en connaisseurs, appréciant la voix, le geste, le débit. Ils rappellent ses succès précédents, commentent ses- tentatives et ses échecs. Ils évoquent les émotions qu'ils doivent au tribun, les jours où, grâce à lui, ils connurent l'extase, l'assouvissement. Ils en parlent comme les femmes font d'un ténor.

Quoi qu'ils affirment, ils ne viennent pas là pour ap- prendre quelque chose. Depuis longtemps, la conviction est enchaînée dans leur cœur. Si d'aventure elle doit se trouver ébranlée tout à l'heure, ce ne sera pas sous l'effort de la raison, mais à cause d'un geste impérieux, d'un cri opportun. Ce qu'ils savent, ce qu'ils sentent, ils l'ont appris et compris ailleurs. Ils ne veulent pas être instruits, ce soir, mais étreints. Ils ne sont pas ici pour travailler, mais pour jouir. La science ? Il y en a dans les livres et peut- être des bribes dans les journaux ; ce que l'on vient cher- cher ici, c'est cette voix chantante, bondissante, agile, mâle, qui s'introduit en nous comme une caresse un peu bru- tale, qui nous exalte et nous grise, nous disant justement ce que nous voulons nous entendre dire, ce que nous atten- dons, ce que nous connaissons.

C'est alors que paraît l'orateur. Des milliers d'5^eux se fixent sur lui avec avidité. Une bourrasque d'applaudisse- ments l'enveloppe, le fouaille. On attend beaucoup de lui ; on attend tout. Il faut qu'il se dépasse, qu'il nous possède plus totalement que jamais. Que ces premiers bravos lui soient un encouragement, mais aussi un ordre, une me- nace.

Silence ! Silence ! Il va parler ; il parle.

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��Vous croyez peut-être, mon ami, que l'orateur est un homme chargé de preuves, un homme qui paraît devant

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