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FEUILLETS ' 319

prunt sont celles à quoi l'on se cramponne le plus forte- ment, et d'autant plus qu'elles demeurent étrangères à notre être intime. Il faut beaucoup plus de précaution pour délivrer son propre message, beaucoup plus de pru- dence — que pour donner son adhésion et ajouter sa voix à un parti déjà constitué.

II

J'ai tant aimé Flaubert!... Tout ce qu'on écrit contre lui me meurtrit ; mais combien plus encore ce que je me retiens d'écrire moi-même. Sa Correspondance a durant plus de cinq ans, à mon chevet, remplacé la Bible. C'était mon réservoir d'énergie. Elle proposait à ma ferveur une forme de sainteté nouvelle. Je pense que les élèves de Gustave Moreau ont eu pour leur maître une semblable vénération. Mais Gustave Moreau n'est pas plus un grand peintre que Flaubert, hélas ! n'est un grand écrivain. Celui-ci le sent bien : il n'écrit pas si bien qu'il s'efforce de bien écrire. Les vrais maîtres, Montaigne, Pascal, Saint-Simon, Bossuet, ne se donnaient pas tant de mal. Lorsque je relis Flau- bert aujourd'hui, sans plus autant de révérence, ce n'est jamais sans peine, sans chagrin. Je vois partout conten- tion, gaucherie. Chaque phrase ne sort d'embarras que par une extrême simplification de la syntaxe ; elle mor- celle et juxtapose. Elle n'obient non plus la fusion que l'analyse ; les éléments en restent à l'état brut. Mais avec plus de don réel et qui nécessiterait moins de peine, avec plus d'assurance, nous verrions sa dévotion faiblir, et, partant, notre admiration.

III

J'ai été voir Matisse à Nice. Ah ! quel homme charmant ! Il m'a fait entrer dans une chambre assez petite, oblon- gue, étroite comme un large couloir. C'est dans cette

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