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320 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

chambre qu'il vit, qu'il travaille ; les murs sont tapissés de ses dernières toiles qu'il ne parvient pas à voir avec assez de recul, même dans le reflet de l'armoire à glace. Il peint aussi longtemps que le jour dure, puis, à la lumière de la lampe, il dessine. Il n'est pas de ceux qui pensent qu'ils travaillent dès qu'ils ont en main plume ou pinceau ; il cherche sans cesse, il s'eflbrce ; les plus exquises de ses toiles sont celles dont il est le moins satisfait, car il dédaigne les eftets qu'il obtient désor- mais à coup sûr. Il reporte votre attention vers d'autres toiles, moins accomplies, mais où se lit une recherche que ses admirateurs de la première heure, et vous savez s'il en a, n'attendaient certes pas de lui, qui peut-être va leur déplaire et qu'ils ne comprendront pas. Il parle de pré- cision, de réalisme ; il aspire à pouvoir dessiner propre- ment une main, « des doigts qui n'aient pas l'air de bouts de cigare », à mettre un œil en place, c'est-à-dire au- dessus du nez et de côté suffisamment pour laisser place au second œil. Il dit : « Ce n'est pas tout de bien dessiner une main ; encore faut-il qu'elle fasse partie de l'ensem- ble ». Car c'est de l'ensemble qu'il est parti : mais c'est là qu'il faut revenir. Et d'une part, dans ses dessins, il soigne à présent des détails qui s'efforcent vers un ensem- ble, d'autre part dans sa peinture il s'efforce vers des détails qui ne contreviennent pas à l'émotion de l'en- semble. Bref, à cinquante ans, le voici qui redécouvre ces élémentaires vérités que l'école enseignait aux élèves ; le voici qui vers la fin de sa vie va rejoindre le point de départ des grands maîtres : de Mantegna, de Michel Ange, dont ensuite nous feuilletâmes des reproductions. « Voyez ! me criait-il, comme c'est dessiné, cette main ! » Car on en revenait toujours aux mains, comme au morceau de choix le plus difficile. Et il me redisait le mot atroce de Forain : « A présent que les Allemands n'achètent plus notre peinture, nos jeunes vont devoir apprendre à faire les mains. »

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