348 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Pour se venger de l'écrivain qui leur a donné la vie, les héros qu'il a créés lui cachent son porte-plume.
Max Jacob sait attacher et séduire un lecteur ; d'un fait divers sans importance, il dégage un petit drame psychologique. La souplesse de son style, l'élégance — parfois un peu trop recher- chée de son écriture, le don qu'il a d'observer des détails pitto- resques, « uniques » parce qu'il les rend tels, font de lui un écrivain singulier, et de son œuvre, presque aussi surprenante que celle de Restit de la Bretonne, une exception à la règle littéraire — sans parallèle, car l'originalité de Max Jacob le pré- serve de toute évocation précise.
La seconde partie du livre Nuits d'hôpital et l'Aurore est un journal du temps passé par l'auteur chez la « Marquise de Lari- boisière ». L'auteur avait été écrasé par une voiture, place Pigalle. Un ami lui disait :
— Alors, ce taxi...
— Ce n'était pas un taxi, mais une superbe limousine, répon- dit Max Jacob en ce soulevant sur ce lit d'hôpital où les nuits de fièvre et de souffrance étaient si longues. Il raconte son entrée au Purgatoire du boulevard Magenta, un soir d'hiver :
Il était évanoui dans son habit noir trop petit. On l'avait laissé deux heures sur une chaise de jardin dans un rectangle bitumé qui était une salle pour attendre une « baigneuse » et quand la baigneuse était venue, comme elle avait^montré un peu plus de bonne grâce que les agents de ville en civil si nombreux étales agents de ville en uniforme qui s'informaient du nom"de demoiselle de sa mère avec tant de solli- citude, car il n'y avait encore que cela dans l'hôpital endormi, Schwevi- chenbund (c'est le nom que l'auteur prête à sa burlesque image) avait éclaté en amabilités fondantes.
Ces pages sont empreintes d'une tristesse de premier choix et d'une émotion véritable qui nous éloignent un peu de la vie littéraire. Les mots magiques nous ouvrent les portes du monde obscur d'où l'auteur revient douloureux, blessé, mais le cœur plein d'un désir de pureté, espérant la fin du monde et l'aurore L Le plus touchant, c'est que la Muse de Max Jacob ôte enfin son masque de carnaval, essuie le fard de son visage et laisse couler sur ses joues de vraies larmes, sitôt changées en perles.
GEORGES GABORY
��* *
�� �