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LE CAMARADE INFIDELE 4I7

faire du mal en ne cessant de revenir sur des événements dont tu connais tout ce qu'on peut savoir.

— Je me fais beaucoup plus de mal en cherchant à me représenter tant de circonstances qui m'échappent. Ne comprenez-vous pas tout ce que l'imagination peut ajouter de cruel à la réalité ?

Il a posé les deux mains sur les accotoirs de son fauteuil, comme s'il allait se lever ; mais elle s'écrie, les joues brû- lantes :

— Vous devenez très lâche quand vous croyez voir poindre, de si loin que ce soit, quelque chose qui pourrait conduire à de l'attendrissement. Soyez juste pourtant : je ne vous ai jamais fatigué de mes larmes.

Tant de fermeté luit dans le regard de sa nièce, qu'il laisse retomber son grand corps avec un grognement de protestation :

— Il y a une espèce de piété, dit-il, à ne pas parler vai- nement de ce que les morts ont souffert.

Elle riposte avec douceur :

— Si du moins nous comprenions ce qui s'est passé ^ans le cœur des survivants, ce serait déjà quelque chose, car ils ont eu part à la même action. Mais ils sont presque aussi fermés pour nous que les disparus.

Le général de Pontaubault n'est pas de ceux que l'on mène aisément où ils ne veulent pas, et il apporte à se dérober une grâce où il se sait maître :

— Crois-tu qu'avec sa conscience chargée de peccadilles, un homme consentira jamais à se montrer tout à fait sin- cère devant un petit nez, busqué si joliment, et à laisser regarder jusque dans le fond de son cœur par des yeux auxquels il aurait si grand chagrin de déplaire ?

Mais la galanterie ne la fait même pas sourire.

— Ainsi je comprends bien, continue-t-elle, que ce n'est pas vous qui décidiez l'heure de l'attaque, ni le secteur, ni les effectifs. Mais, dans votre propre division, vous étiez pourtant le maître de disposer les compagnies à votre gré ?

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