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— Je n’y ai pas eu de peine ; nous avons uniquement parlé d’Heuland.

M. de Pontaubault ne semble pas percevoir l’intention et rêve une seconde :

— Nous autres Chouans, dit-il, nous savons ce que c’est que la fidélité. Mme Heuland est bien du même sang que celles de nos grand’mères (elle ressemble étonnamment au portrait de l’une d’elles) qui soutenaient par des exercices d’imagination poussés jusqu’à la virtuosité, leur foi dans les princes en exil. Ceux-ci ne pouvaient montrer de faiblesse où ces femmes chevaleresques ne prétendissent découvrir une nouvelle vertu, et si la déception ne pouvait être masquée, tout ce qu’on parvenait à tirer d’elles c’est quelque chose comme : « Il n’en a que plus grand besoin de notre respect. » Ma nièce, qui possède l’esprit le plus raisonnable et qui n’est point du tout mystique, doit trouver quelque difficulté à ces prouesses spirituelles. Vous me faites souvenir d’un mot qu’elle a eu, après un déjeuner de chasse où plusieurs de nos voisins étaient réunis. Heuland s’était permis, quelques jours auparavant, une plaisanterie un peu lourde sur le compte de l’un d’eux à qui on l’avait répétée, mais comme si ma nièce en était l’auteur. En prenant congé d’elle, cet invité, fort aimable homme, a su glisser dans un compliment courtois une pointe qui laissait clairement entendre d’où il croyait que venait le coup. Nous attendions ce qu’allait dire Heuland, mais il s’est avisé de courir rattacher un chien. Sa femme, décontenancée, s’est tirée du mauvais pas le plus crânement qu’elle a pu. Nous étions si mortifiés pour elle que personne n’aurait eu la cruauté de faire allusion à cette petite félonie conjugale ; mais notre silence lui était insupportable et il fallut qu’elle me dît : « Je tremblais qu’il ne manquât de sang-froid et ne blessât doublement ce pauvre homme en intervenant. » Cette anecdote simplement pour vous faire comprendre ce caractère si ferme dans ses affections et qu’un soupçon de romanesque après tout ne gâte pas.