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42 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Un point frappe dès l'abord le lecteur même le plus familier avec l'œuvre de Gide : le puissant enrochement de cette œuvre dans le sol national et les multiples veines qui la relient à tous les grands gisements^ à tous les grands problèmes de notre époque. Parce qu'il s'est de bonne heure opposé à ce que la théorie barrésienne de l'enracine- ment provincial présente de vieillot, d'étouffé, de dépri- mant pour une jeunesse qui n'a pas répudié tout courage d'esprit et toute hardiesse de tempérament, parce qu'il a écrit : « Né à Paris, d'un père U:(élien et d'une mère Normande, où vouUâ^-vohs, Monsieur Barrés, que je m'enracine? J'ai donc pris Je parti de voyager... » on a trop vite oublié, ou feint d'oublier, qu'il ajoutait : « Entre h Normandie et le Midi je ne voudrais ni ne pourrais choisir, et me veux d'autant plus Français que je ne h suis pas d'un seul morceau de France. » Je sais bien que ces pages choisies me parviennent avec une carte de visite où je lis : André Gide, en voyage... C'est avec des matériaux de cette sorte qu'on bâtit les légendes ; et si on lui a ifait celle d'un homme détaché, fuyant, nomade, reconnaissons que Gide s'est parfois amusé à donner le change. Mais ce serait n'être guère de chez nous que de ne pas savoir reconnaître, dans les mouvements d'un esprit aventureux, ce qu'il peut y avoir de sourire, d'impatience ou de boutade. Gide écrivait à Barrés : « Votre affirmation trop constante nous fait désirer contredire », en quoi il ne se montrait peut-être ni Languedocien ni Normand, mais bien d'un peuple qui comprend des Bretons et des Alsaciens. Il écrivait encore : « A force de vouloir paraître Français, certains perdent toute grâce à l'être ; le plaisir d'être Français diminue à devenir contraint ; on l'est malgré tout, lorsqu'on l'est ». Et il ajoute : « Je consens que plus je serai Français plus je serai moi-même ; mais je sais aussi que plus je serai moi-même, plus je serai Français. »

On ne peut prendre position plus nette en son pays, en soi-même et hors de tous les partis. C'est là justement ce que les gens de parti jamais ne pardonnent. Quoi de plus

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