Page:NRF 18.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ANDRÉ GIDE ET SES MORCEAUX CHOISIS 45

cuisant que les critiques d'un liomme qu'on ne peut accu- ser de prévention puisqu'il se permet parfois la louange ? N'osant le traiter ni de sot, ni d'imposteur, on tâche de s'en tirer en le traitant de versatile. Et pourtant si quelque chose surprend dans les pages de ce livre consacrées aux. questions générales, c'est l'unité du point de vue, c'est la. fidélité de l'auteur à ses prémisses. Qu'il s'agisse de France,. d'Allemagne, d'hérédité, de morale, d'écoles, d'influences, partout on reconnaît l'empreinte de la même personnalité et le jeu de la même raison. Quels qu'eussent été les pro- blèmes abordés par Gide, on acquiert la certitude que cet ingénieux esprit ne les aurait pas attaqués par la surface, mais par le noyau, et que tout ce qu'il y a chez lui de souplesse et d'invention il l'aurait utilisé à mieux atteindre le point le plus résistant de l'obstacle. D'autres font plus de bruit, soulèvent plus d'étincelles et de poussière, mais ils n'ont pas cette prise vigoureuse que donne la sûre intel- ligence des endroits où se trouvent les centres vitaux. — L'esprit de Gide est fort éloigné de l'esprit politique, non point parce que la politique est la science du possible et que la pensée de Gide manquerait de réalisme (je voudrais démontrer, tout au contraire, qu'elle a horreur de l'abs- traction) ; mais parce que la politique est aussi la science du compromis et que c'est justement devant cette nécessité là que Gide se dérobe. Pourtant rien non plus chez lui qui rappelle cet « au-dessus de la mêlée » que l'extrémité du péril nous a rendu odieux. Il ne traite nulle question où nous ne le sentions engagé, où il ne pose comme en- jeu ce qui lui tient le plus à cœur. Peu d'hommes sont plus incapables que lui de se donner à moitié, de s'inté- resser tièdement. C'est le secret de sa force là où il inter- vient ; c'est aussi la raison pour laquelle il refuse d'inter- venir plus souvent. Et c'est tout à la fois l'explication de son ascendant sans rival sur certaines natures et de son effacement aux yeux du grand nombre.

Une pensée n'a sur le public d'action directe que dans la

�� �