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508 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

événement ou de telle personne. Nous ne questionnerons d'ail- leurs jamais en vain, Gœthe ayant presque toujours d'une manière ou d'une autre révélé ce que fut la portée de telle ren- contre ou quelle fut l'influence qu'exerça tel personnage sur son développement. En effet, tout ce qu'il écrit peut être considéré comme une interprétation de lui-même de son passé, de son présent, du sens de toute sa vie. La tâche du biographe consis- terait donc à recueillir ses interprétations, à en découvrir le sens là où on ne les trouve que sous forme de symbole, et à les réunir pour en composer l'image d'une vie.

C'est donc Goethe lui-même qui, si j'ose m'exprimer ainsi, nous dicterait sa biographie. Autrement dit, faire une biogra- phie de Goethe serait écrire son autobiographie, ou plus exac- tement puisque cette autobiographie est déjà écrite sous diffé- rentes formes dans ses oeuvres, il ne s'agirait plus que de la transcrire de manière à en former un ensemble. Mais est-il bien sûr qu'il faille s'en tenir là, et le biographe doit-il accepter sans plus, l'interprétation que Gœthe lui-même donne de sa vie ?

La question peut paraître bizarre. Pourtant il n'est pas rare de voir un biographe en parfait désaccord avec son personnage, qui lui semble avoir mal compris le sens de sa vie. Rousseau considérait sa vie comme essentiellement manquée. Destiné à n'être qu'un petit artisan paisible à Genève, il devint un grand littérateur à Paris. Repassant dans sa mémoire sa vie passée, Rous- seau regrettera d'avoir jamais quitté Genève, et de s'être laissé entraîner à écrire des livres. Il ne verra dans la suite des événements qu'une série de rencontres qui l'ont détourné de sa voie. Aucun de ses biographes n'étant de cet avis, tous inter- préteront la vie de Jean-Jacques tout autrement qu'il ne le fît lui-même. Le biographe trouvera que Rousseau vécut dans des circonstances favorables à son développement, et que tout en somme, à différents degrés, lui a profité. Considérant l'ensemble, il ne pourra manquer de retrouver dans cette vie un enchaîne- ment des plus mer\'eilleux, tout ayant contribué à former le personnage de Jean-Jacques tel qu'il continuera à vivre dans l'histoire. Que Rousseau ait d'abord pu s'abandonner à ses « douces rêveries » et à ses « chères extases », sans leur cher- cher des formes précises ; qu'il ne soit venu à Paris que sur le tard, après avoir développé sa vie émotive ; que dans les milieux

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