Page:NRF 18.djvu/515

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

NOTES 509

littéraires de Paris, il ait trouvé des manières de penser et de s'exprimer, sans que celles-ci aient pu altérer le fond de cette vie ; qu'il n'ait fait que passer dans ces milieux, pour revenir ensuite à sa solitude : cela et bien d'autres circonstances encore, feront croire au biographe que dans cette vie tout se combinait pour form.er l'auteur des Rêveries d'un Promeneur solitaire. Lors- que Rousseau ne nous parle que d'égarements et de rencontres malheureuses, ses biographes le contrediront donc presque tou- jours, et si à la fin de sa vie, il se plaint de mourir sans avoir vécu, ils trouveront qu'il n'a rien compris à sa destinée, ce qui d'ailleurs fait encore partie de cette destinée.

Rien n'est plus opposé que la manière dont Rousseau et Gœthe envisagent, chacun sa vie. Rousseau se demande sans cesse ce qui aurait dû être, et ce qui ne fut pas ; il ne saurait avouer une vie qu'il ne peut reconnaître comme sienne parce que con- traire à sa destinée. Entre la destinée et ce que la vie fait de nous, il y a la différence de l'homm.e naturel à l'homme civilisé. Goethe par contre cherche à comprendre ce qui était, et ce qui devait être ainsi. Sa vie, c'est lui, lui dans son développement, l'expression de son moi à travers les âges. La vie est toujours naturelle parce que c'est la vie. Tout est nature, et il n'y a que l'homme tout court, l'homme partie d'un univers invariable oîi tout se reproduit d'après des lois. Aussi là où l'un ne voit que des accidents, l'autre ne cherche qu'à apercevoir des nécessités. Tandis que pour Gœthe la vie est l'épanouissement d'une per- sonnalité, Rousseau n'y verra qu'une mort lente de ce qu'il y a en nous de personnel, une défiguration de ce que nous sommes en nous-mêmes, et ce n'est que dans les rares moments oià cette vie se tait, qu'il croira être revenu à sa destinée première.

Il est clair d'après ce que nous venons de dire, que le bio- graphe sera beaucoup plus porté à adopter le point de vue de Goethe que celui de Jean-Jacques. Rousseau semble toujours vouloir décourager son biographe et le contredire d'avance. Je ne comprends rien à ma vie, paraît-il répéter sans cesse, et tout ce qui m'arriva me semble parfaitement absurde, et il eût été fort fâché de s'entendre dire le contraire. La vie de Goethe, par contre, apparaît comme une oeuvre d'art, dans laquelle tout s'enchaîne admirablement et où tout ce qui arrive, arrive à son heure, et contribue à l'ensemble. C'est Gœthe lui-même, qui

�� �