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Page:NRF 18.djvu/555

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PREMIÈRE JOURNÉE A RUFISQ.UE 549

— Et ta femme! Elle couche toujours avec ton frère? Ta sœur fait toujours la garho et toi le vieux c. ? »

Abdoulla, Boukfall ou Mahmadou comprennent mal ce torrent de paroles un peu bredouillantes ; ou, s'ils le comprennent, ce sont de fameux diplomates, car leur visage n'en laisse rien paraître. Leur satisfaction prend un accent pointu et chevrotant :

« Oho, Moussié ChaFnesse, moussié Chab'nesse ! »

Leurs congénères se sont rapprochés ; ils se pressent main- tenant en un cercle compact, où les uns jacassent sans arrêt, pendant que les autres se bornent à tendre en avant leurs dents blanches, et leurs lèvres qui rient de contente- ment. Et moi qui perce leur foule à ce moment pour rejoindre le commandant, je commence à humer une odeur écœurante et douceâtre, qui m'est nouvelle, mais que bientôt je serai sûr de ne plus jamais oublier.

S'il était superbe sur le pont de la Pantoire, tout à l'heure, M. Chabaneix, combien il l'est davantage ici, gonflé moins de la vanité d'être reconnu que de sentir jouer si parfaite- ment les heureux mécanismes de ses facultés. Vraiment^ tel qu'il mapparaît là, ce sont les parties napoléoniennes de son masque qui ont raison ; une fois de plus, il me fait penser à N., mon ancien capitaine au front; celui-là aussi avait été entraîné par son goût à servir en Afrique ; celui-là aussi avait contracté à l'endroit de l'indigène cette affection méprisante de négrier ; en entendant les phrases ouolof se former spontanément sous le palais de M. Chaba- neix, qui jamais n'a étudié aucune langue et qui n'a plus parlé celle-ci depuis cinq années, je me rappelle la verve inépuisable avec laquelle mon autre paresseux, là-bas, entre Suippes et Souain, reproduisait le piaulement arabe du tirailleur, son sabir, ses prières et son caquetage.

Mais M. Chabaneix est pressé ; ce qui l'amuse dans l'in- digène, c'est ce qu'il en fait, lui, Chabaneix, et aucunement l'indigène. Aussi fend-il la presse et continue t-il à grandes enjambées, tandis que j'allonge le pas pour rester à sa hau-

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