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ainsi) n’est-ce pas de la haine pour la lâcheté de tous les sentiments oublieux et un point d’honneur à ne pas les tolérer ?

— Oh, dit-il, ne voyez pas de système là où il n’y a que des passions assez confuses. Si je suis plus lent qu’un autre à quitter les pensées du temps de guerre, c’est simplement peut-être que j’ai d’abord eu plus de peine à les accepter.

— Voulez-vous dire qu’avant la guerre vous étiez très différent ?

— Celui qui est entré de plain-pied dans la bagarre en est sorti de même : le général de Pontaubault par exemple. Ou encore ceux qui ont subi les événements en faisant le gros dos, sans laisser entamer leur insouciance et leur optimisme. Soyez sûre qu’Heuland revenant de la guerre n’aurait pas eu besoin de se racclimater.

— Je veux bien le croire, dit-elle. Il n’était guère changé d’une permission à l’autre et j’en éprouvais de la sécurité.

— On ne pouvait imaginer deux natures plus opposées que les nôtres. Il se moquait de ce qu’il appelait ma philosophie, qui n’était qu’un besoin de ne pas me leurrer. Vernois, disait-il, calcule à quatre décimales près les chances qu’il a de mourir demain. Et il est bien vrai que je me sens dans les ténèbres et que j’ai peur de toutes les surprises, tant que je n’ai pas soupesé le pire ; c’est seulement quand il est accepté que je puis retrouver du courage.

Ils longent une vaste prairie et se laissent aller l’un et l’autre au fil de leurs pensées ; puis Clymène reprend :

— Jamais en ma présence, même indirectement, même par plaisanterie, il n’a laissé percer l’idée qu’il pourrait disparaître. Et pourtant son langage n’était pas dicté par la peur de m’émouvoir.

Il répond affectueusement :

— Soyez sûre que tous les miracles, même les plus offensants pour l’esprit, lui semblaient plus faciles à conce-