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LE CAMARADE IKFIDELE 579

te jure que je n'ai pas bronché, quelques périls que tu aies courus. Je n'avais pourtant pas lourd d'espérance et pen- dant les heures passées sur le bord des routes à surveiller mes cantonniers, j'ai eu tout loisir d'en rabattre encore. Mon imagination ne m'avait pas épargné grand'chose, mais les camions qui passaient pleins de blessés m'ont fait voir des mutilations que je n'avais pas eu le courage de me figu- rer. Tout ce que la chair humaine peut endurer, je me le suis représenté dans ton corps à toi. Eh bien, je le dis en pesant les mots, il y a plus tragique que tout cela : il y a la déchéance d'un être droit qui se gangrène dans le men- songe.

Vernois veut protester, mais son trère l'arrête :

— Je sais ce dont je parle... Je le sais par le dedans... C'est plus misérable qu'on ne peut l'miaginer. Je ne pré- tends pas mettre en regard tes expériences à toi, dont tu as lieu de tirer de la^fierté, et les miennes qui sont inavoua- bles. Et pas non plus nos deux natures. Avec ton bon sens tu ne te serais jamais laissé glisser aussi loin que moi... Encore une fois, je parle en connaissance de cause... Or il est dur de se libérer. Je n'ai presque rien fait par moi-même. Je dois tout à la bonne tempête qui m'a jeté sur la côte. Aussi je ne comprends que trop le besoin qu'on a de subir violence. Et c'est pour cela que je te tourmente... Et si tu ne te défends pas bien brutalement... tu auras du mal à me faire lâcher prise.

Vernois sait que son frère ne lui demande pas un acquies- cement des lèvres et que le silence est encore la réponse la plus émue. Thomas s'est levé ; il replace quelques livres sur les rayons de la bibliothèque.

— Vieux, dit Vernois, on a déjà sonné à deux reprises ; c'est probablement l'ouvrier qui vient reprendre ses appareils.

En effet Thomas introduit dans la pièce un homme à barbe blanche, modeste et propre, à qui sa vieille a dû, pour l'occasion, repasser son meilleur faux-col. Il porte à la ronde

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