Page:NRF 18.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre toi cette cause ingrate. Mais crois-moi, on ne guérira qu’en assainissant un point après l’autre, en redressant chaque notion faussée.

Vernois réplique doucement :

— Ce n’est pas cette vertu-là qui aurait barré la route aux Allemands.

— Dieu merci, vous en aviez d’autres ! Mais aujourd’hui…

Le cadet reprend :

— Ces autres-là, j’ai eu trop de peine à les acquérir ; je m’y tiens. En octobre ou novembre 14, quand on a pu souffler et qu’on a cru se mettre à réfléchir, va, j’ai senti que je tenais de toi bien plus que je n’avais soupçonné : le besoin d’éplucher les nouvelles, de nager à contre courant, et ce fatigant souci d’être juste ! Mais c’est un effort qu’on ne peut pas soutenir ; il faut s’en remettre à ceux que ça regarde. Défends ta peau et ta tranchée, cela suffit. Un vigoureux rétablissement dans les sentiments simples, communs à tout le pays, une haine bien élémentaire. Ah, qu’on est soulagé ! Mais ce tour de gymnastique vous casse les jointures ; on ne le recommence pas deux fois.

Thomas se tient comme un médecin qui ne sait comment soulever un enfant malade.

— Il faudra pourtant bien…

— Non, non. Adressez-vous à la génération suivante. Celle-là ne demandera pas mieux. Nous avons fait notre service.

L’aîné répète :

— Il faudra bien… On dit qu’on ne pourra jamais, et pourtant il n’y a pas d’autre issue… Rends-moi justice : tant que tu étais sous le coup d’un arrêt de mort, je n’ai pas ouvert la bouche. J’étais reconnaissant à tout ce qui pouvait te soutenir, et mieux valait te savoir sous n’importe quel masque qu’avec ta libre respiration dans un air empoisonné. Mais puisque tu es revenu… Mon petit, laisse-moi parler ; je ne t’ennuierai pas deux fois de mes réflexions. Je