732 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
donné par Zola à des essais critiques : Mes Hautes, pourrait flamboyer à bien des pages de M. Daudet. Il hait en Victor Hugo une idole de la démocratie, en Zola l'homme de l'affaire Dreyfus, et il ne se prive pas de le dire. Mais on aurait grand tort de voir dans sa critique seulement une critique de journa- , liste politique. Elle se rattache surtout à ce qu'on pourrait appeler la critique artiste, la critique telle qu'elle naît, très vivante, très pittoresque, très primesautière, dans des milieux d'artistes. Ecrite en une langue parlée, mobile, imagée, savou- reuse, fraîche, elle est déposée par une tradition orale qui date d'une soixantaine d'années, celle qui a pris corps dans le grenier d'Auteuil, ces conversations des Flaubert, des Con- court, des Daudet, des Zola, des romanciers naturalistes, toute cette critique animée que nous puisons joyeusement, à pleines mains, dans la correspondance de Flaubert et dans le journal des deux frères (vivement la suite !). Critique qui, dif- férant tellement de la critique livresque, de la critique universi- taire, vit avec elle, au fo3'er littéraire, comme le chien et le chat, — comme chien et chat : mais il faut bien à la critique, comme à tout, une droite et une gauche, un Nord et un Midi hostiles.
Cette tradition formelle n'implique pas une tradition d'idées, elle l'exclurait plutôt. Dans un tel courant les idées se renou- vellent vite, vieillissent vite, les générations littéraires se pressent et se renversent. M. Daudet, qui a toujours besoin de penser, de parler, d'agir, d'exister contre quelqu'un, s'est formé contre ces mêmes écrivains du Grenier dont sa critique con- tinue la conversation. Il n'est arrivé à son style parlé d'aujour- d'hui qu'après s'être essayé, dans ses premiers romans, à r « écriture » des Concourt. Il a déclassé violemment l'esthé- tique de Flaubert. Il ne traite du pilier de Crenier qu'était Zola que comme il ferait d'un wagon de poissons garé pendant quinze jours au gros soleil. Et précisément par là il s'incorpore d'autant mieux à ce cercle, à cette suite tumultueuse d'histoire littéraire, où ont vécu des passions littéraires, où se sont formées, comme chez les peintres de la Renaissance, des haines et des sympathies d'atelier. Quand on consacrera à M. Daudet l'étude impartiale et attentive qu'il mérite, il faudra voir s'il ne s'expli- querait pas un peu comme un type d'écrivain porphyrogénète.
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