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Page:NRF 18.djvu/745

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CHRONIQUE DRAMATiaUE 739

un Christ blond, une Vierge chlorotique, et, tous, des saints qui changent de physionomie suivant qu'ils sortent d'une bou- tique ou d'une autre. On devrait faire plus attention à ces différences et les éviter. Elles sont dangereuses et font entrer le doute dans l'esprit. La religion n'a-elle pas assez de mystère ? Qu'on ait au moins quelque certitude dans le domaine phy- sique. A moins que l'Eglise, qui s'y connaît mieux que moi, ne soit assurée que le vrai fidèle ne réfléchit jamais et n'examine rien et se contente de prier les yeux fermés autant que l'esprit. Une chose que je regarde aussi, quand je passe devant ces magasins, ce sont ces images imprimées qui représentent des personnes décédées. Une petite légende placée au bas invite à prier pour elles, que le Seigneur a reçues en son sein. On a là comme un petit musée de dévots et de dévotes qui ont réalisé leur rêve, paraît-il, et ont vu leurs prières exaucées. Ils ne sont généralement pas très séduisants, ces habitants du Paradis. Ils ont des figures revêches, pincées, médiocres, égoïstes et quel- que peu sournoises. Mauvaise réclame pour les vertus chré- tiennes, si elles vous donnent de ces visages. C'est André Gide, je crois bien, qui a dit qu'un homme vaut selon l'inquiétude qu'il a en lui ? J'en suis désolé. Je n'ai vraiment aucune inquié- tude d'aucune sorte. Je suis on ne peut plus terre à terre, enfoncé dans l'épaisse matière. Aucun au-delà ne me tour- mente et je suis au contraire solidement assuré sur ce point. Je sais que je mourrai tout entier et je n'attends rien de rien. En un mot, le mécréant accompli, n'en déplaise aux amateurs de chimères. Mais j'y pense chaque fois qu'en passant je regarde les images de ces élus, si j'avais quelque inquiétude touchant la suite de cette vie terrestre, ce serait bien d'aller au Paradis et de m'y trouver en société avec tous ces honnêtes gens.

Je venais donc d'entrer dans ia rue Saint-Sulpice pour me rendre au Théâtre du Vieux-Colombier. J'avais jeté un coup d'œil, en passant, chez l'antiquaire, pour voir si le théâtre en carton était toujours là et je venais de faire rentrer chez lui un chat de boutiquier qui se promenait impru- demment sur la chaussée. A ce moment, j'aperçus sur l'autre trottoir, venant en sens contraire de moi, mon ami André Billy. Tout le monde connaît André Billy. C'est un garçon grand, blond, à lunettes, les cheveux bouclés, toujours vêtu de

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