Page:NRF 19.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

114 LA ko1 - t VELLE REVUE FRANÇAISE

par ce lyrisme nouveau, par ce jaillissement sur la toile, de formes exposées dans toute leur crudité native. Car c'est bien cette sincérité scandaleuse, ce lyrisme naïf, cet étonnement continu, qui différencient le douanier de Corot. Ce dernier vit et travaille dans un état de sérénité bonhomme ; il jette un regard indulgent sur toutes les choses humbles ; il peint l'église et le caillou avec le même soin ému et avec un renoncement admirable aux faciles effets.

Mais Rousseau vit dans le ravissement le plus enfantin qui ait soulevé une âme humaine ; on se le figure faisant ses confi- dences aux oiseaux, communiant avec la nature entière — non qu'il s'v mélange à la façon de Cézanne, empli d'une inspira- tion uniquement picturale, indifférent au caractère particulier de chaque objet — mais au contraire d'une façon méticuleuse, restituant à la feuille et à la fleur qui arrêtent son regard l'im- portance féerique qu'elles revêtent au moment où il les perçoit. Qu'ils représentent les rives de la Seine ou les entrailles d'un Mexique à la fois réel et fantastique, ses paysages prodigieux exercent sur nous une fascination inoubliable ; la majesté et la gentillesse s'y. marient ineffablement ; ils nous font revivre comme nulle antre oeuvre, les délicieuses angoisses d'une enfance aux surprises, aux terreurs et aux ravissements hélas ! impossibles à retrouver. Les qualités purement picturales de son œuvre apparaissent avec assez de netteté pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en souligner ici les considérables mérites. Seuls des yeux aveuglés par la plus académique des routines peuvent demeurer insensibles à la rareté de ces tonalités, à l'ingéniosité de ces rapports de dimensions, à l'exceptionnelle intelligence de ces « mesures » qui en dépit parfois de quelque gaucherie, offrent un support technique des plus solides à la poésie la moins recherchée la moins « artiste a qui ait existé en France depuis Foucquct, peintre inégalable du surnaturel.

11 ne peut être question, cependant, de considérer Rousseau comme un «Maître», dispensateur de conseils. On ne peut que constater le miracle qu'il incarne, miracle qu'il serait de la plus folle témérité d'essayer de renouveler. Chercher comme Rous- seau à faire l'ange serait le meilleur moyen de faire la bête, sans bénéfice possible. Cézanne, le plus torturé des hommes, est bien plus pi es de nous ; il nous enseigne l'art de rendre

�� �