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forme. L’année 1919 a été, de toutes ces dernières, la plus vacillante, celle où il était le plus impossible de prévoir la structure qu’allait revêtir le monde, et donc de lui en imposer une.

La recherche des paliers : voilà quelle devrait être, pour l’instant, la préoccupation première de nos hommes d’Etat. Qu’ont-ils pensé jusqu’ici à utiliser qui se présentait à eux comme occasion, ou comme chance ? À quel moment ont-ils osé déconcerter par un peu de pénétration et de prévoyance cette opinion publique, qu’ils avaient eux-mêmes, il est vrai, d’abord travaillé à rendre stupide ?

Jamais la moindre envie de véritable innovation ne les a effleurés. Tous leurs mouvements d’énergie ont été pour reprendre en mains les armes dont ils s’étaient déjà servis inutilement et pour renouveler les menaces qui nous avaient déjà aliéné les sympathies étrangères.

Ils n’ont jamais cherché que l’assentiment intérieur, le seul qui compte, il est vrai, au point de vue électoral, mais celui, aussi, par lequel notre politique peut être le plus déviée — xénophobes comme nous sommes — de la communion européenne, sans laquelle nous ne pouvons pas vivre.



Il y a, en général, chez nous tous Français, un terrible besoin d’avoir évidemment raison, j’entends : d’une manière qui permette la démonstration. Rien n’est plus dangereux. Car une opinion neuve et féconde est par essence une opinion qui n’est pas encore solide, que des quantités d’arguments peuvent encore assaillir et même ébranler. Nous n’admettons pas le risque d’être mis en échec par raisonnement. Aussi nous retirons-nous instinctivement de toute conception aventureuse, autant dire créatrice.

C’est ce repliement sur notre propre esprit qui m’inquiète ; c’est à lui que j’en ai ; c’est en lui que je vois le danger le plus grave que nous courions à l’heure actuelle.