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184 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Et il me tendit un petit volume au dos duquel je lus : Œuvres de Paul-Louis Courier.

Ces vastes connaissances et cette promptitude de jugement me remplissaient d'admiration. Silbermann devina ce sen- timent. Il sourit et me dit :

— Prends ce que tu veux. Tu pourras venir ici aussi souvent qu'il te plaira.

Nous restâmes longtemps à causer. Il me donna des conseils à propos de mes études. Nous parlâmes de nos compagnons de classe ; et il en railla quelques-uns qui pas- saient pour sots et qu'il imita drôlement. Un mot qu'il semblait adorer revenait souvent dans sa conversation : « l'intelligence ». Et il le prononçait avec un sentiment si impétueux qu'on voyait apparaître à ses lèvres une petite bulle d'écume.

Je l'entretins de plusieurs livresque j'avais lus. Sur cha- cun il me donna des aperçus nouveaux pour moi. Nous étions assis l'un auprès de l'autre. Sa voix avait des inflexions si persuasives que par moments je me sentais dominé par lui aussi bien que s'il eût posé sa main sur ma tête.

Je fus présenté à sa mère. Elle allait sortir et était cou- verte d'un long manteau de fourrure. Je n'aperçus de son visage que des yeux noirs et allongés, des lèvres très rouges qui ne cessèrent de sourire. Elle reprocha à son fils de me tenir dans cette chambre au lieu d'un des salons. Elle me pria de venir déjeuner, fixa le jour et disparut, m'ayant flatté par son air élégant et sa complaisance.

Avant de partir, j'allai choisir quelques livres dans la bibliothèque de Silbermann. En déplaçant une rangée, je vis, cachée derrière, une collection de journaux. Mon regard tomba sur le titre : La Sion future.

Ce fut à ce moment que se déclara au lycée l'hostilité contre Silbermann.

Il avait été deux fois premier lors des compositions. Ce succès avait suscité des jalousies parmi les rangs des bons élèves. Et comme il lui échappait quelquefois une ironie

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