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SILBERMANN 183

qu'elle fit suite à celles que je venais de visiter. Et, à l'examiner, je m'avisai que ma mère, à coup sur, eût peiné de ses mains plutôt que de me laisser dormir parmt le désordre que je remarquais ici.

Silbermann me désigna la bibliothèque qui garnissait presque tout un pan du mur.

— Voilà, dit-il.

Il y avait des livres de haut en bas. Il y en avait de somp- tueusement reliés et il y en avait d'autres, brochés, tout écornés par l'usage.

Je m'exclamai avec admiration :

— C'est à toi ? Tu as lu tout cela ?

— Oui, dit Silbermann avec un petit sourire orgueilleux. Et il ajouta : « Je suis sûr que tous les S'-Xavier réunis n'en ont pas lu la moitié, hein ? »

Il me les montra en détail, prenant certains exemplaires avec précaution et m'expliquant ce qui faisait leur rareté. Il en ouvrit plusieurs et, avec une sûreté et un choix qui me parurent extraordinaires, il me lut quelques passages. Il s'interrompait parfois, les yeux humides, disant : « Est-ce beau ? Ecoute ceci encore... »

Il était surtout sensible à la forme ou plutôt au mot qui fait image ; il le faisait ressortir d'un geste de ses doigts réunis, comme si les beautés de l'esprit eussent été pour lui matière traitable qu'il voulût modeler.

Le livre, la pensée écrite, exerçait sur moi un attrait irré- sistible. Aussi, devant cette bibliothèque (si différente de celle de mon père, laquelle était composée surtout d'ou- vrages ne touchant pas l'imagination) je feuilletais ces volumes avec émotion et pressai Silbermann de questions. Il avait l'art de qualifier en une phrase le sujet d'une oeuvre, de réduire celle-ci sous une formule commode.

— Les Misérables ?... répondit-il à une de mes questions. C'est l'épopée du peuple. Puis : « Tiens, voici le voca- bulaire de la langue française. »

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