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208 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

savais l'an dernier d'esquisser la physionomie en des arti- cles de la Revue de Paris sur Fromentin. Nombreux sont les Français (ainsi que les Anglais et les Allemands), qui demeurent toute leur vie, comme Loti, ensorcelés par des images et des rêves d'Orient. Mais eux-mêmes nous donnent ce rêve oriental comme un repos, une euthanasie, une manière de glisser vers la mort avec quelque douceur et quelque incons- cience. Ils ne trouvent pas dans l'Orient une raison de vivre, mais une manière de mourir.

De ces jardins sur l'Orient il n'en est peut-être aucun qui ait plus de raisons et de manières de nous charmer que la Perse. Elle ne nous dépavse pas trop. Sa littérature ne nous submerge pas comme celle de l'Inde, et ses grands poètes, à travers le voile de la traduction, nous donnent une idée de perfection et de conscience, un sentiment d'art heureux, parfait et mesuré, comme les meilleurs d'Occident. Hafiz et Saadi nous évoquent un La Fontaine ou un Horace religieux. Les Quatrains d'Omar Khayyam sont devenus au xix e siècle un des livres poétiques les plus populaires de l'Occident. La traduction de Fitz-Gérald l'a acclimaté chez les Anglais comme la traduction de Florio y avait acclimaté Montaigne. Des traductions moins artistiques, mais de plus en plus fidèles, nous ont permis de le goûter de plus en plus purement... M. Charles Grolleau en adonné récemment une, élégante et sobre, réduite aux cent cinquante-huit qua- trains qui paraissent seuls authentiques. Il n'y a peut-être pas d'oeuvre poétique qui condense avec une vibration à la fois plus intense et plus aisée l'essence et l'âme lumineuse d'une vie. Une belle journée humaine est un coquillage de soleil, de nacre et de sel, — d'intelligence, de plaisir et de larmes. Elle sent que la destinée du coquillage est de donner une goutte de pourpre, et elle la donne. Si Moréas avait mené une vie plus solitaire et moins gaspillée, si toutes ses Stances avaient la perfection des vingt plus belles, les Stances équilibreraient les Quatrains dans notre paysage littéraire. Cette forme ramassée et brève a été pour le Grec d'Athènes et le Persan de Nisha un moyen terme parfait, un crépuscule léger entre la parole et le silence.

M. Grolleau a eu l'excellente idée de joindre à sa traduction quelques jugements français sur Khavyâm, et ils sont bien curieux. Ils datent de la première traduction française, celle de

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