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CHRONIQUE DRAMATIQUE 221

et dans le jardin. Une petite bête fine, jolie, maniérée, volon- taire, coquette. On s'occupait beaucoup d'elle. Il semblait qu'elle le savait. Il en est là encore des bêtes comme des gens. Voilà les deux êtres charmants que j'ai encore perdus. On pense si j'étais en train d'écrire et de m'occuper de théâtre. La pitié, la colère, le découragement... J'ai beau en avoir perdu beaucoup. Je ne suis pas devenu insensible. Ils sont maintenant tous les deux dans la corbeille de rosiers, à côté du chat Toutou, le cuisinier, qui découvrait toutes les casseroles. Une tombe de plus dans ce jardin qui en contient déjà tant. C'est peut-être le plus dur : enfouir ainsi ce qu'on a tant chéri et caressé. Il semble qu'on n'ait de consolation qu'en pensant qu'un jour on mourra aussi et qu'il en sera pour soi, sous deux mètres de terre, ni plus ni moins que pour eux. Voilà qui fera plaisir aux spiritualistes.

J'ajouterai un détail pour finir. On dit que les animaux se cachent pour mourir. Probablement les animaux dont on ne s'occupe pas? Je n'ai jamais vu cela chez moi. J'ai perdu trois chiens. Quand ils n'étaient pas dans la pièce dans laquelle je me trouvais, ils ont toujours trouvé le moyen de m'y retrouver pour mourir à côté de moi. Mon premier chien, par exemple, le barbet Ami. Le dernier jour qu'il vécut, après quelques jours de maladie, à sept heures du soir, il voulut descendre du pre- mier. On le suivit. Il alla jusqu'à la porte d'entrée du pavillon, s'arrêta sur le perron, regarda le jardin, en tournant la tête à droite et à gauche, puis remonta. Je l'avais installé pour la nuit sur un canapé. A la dernière minute, épuisé pourtant, il trouva la force de sauter sur mon lit pour mourir là, une minute après, la tête dans ma main. Je viens encore de perdre deux chats. Ils ont été malades pendant douze jours. J'ai vu une fois de plus ce que j'ai vu souvent. Chaque fois qu'on les approchait ils s'accro- chaient de leurs griffes à nos mains comme pour nous garder près d'eux. Tout ce que cela ajoute au souvenir qu'on garde.

Je me suis laissé entraîner à parler des bêtes plus que je ne me le proposais. Un mot en amène un autre, les souvenirs reviennent. La plume marche, on se laisse aller. Je voulais parler des dernières pièces que j'ai vues. Je n'en ai pas dit un mot. Ce sera pour la prochaine fois.

MAURICE BOISSARD

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