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FRAGMENTS D'UN JOURNAL DE GUERRE 28 1

mort et la vie. Qui puissent mourir. — Et nos âmes ? Aujourd'hui, aujourd'hui c'est la décision, c'est le jour aujourd'hui ! Puis il fuit en avant. Des grenades éclatent. Des gémissements s'élèvent de chaque motte de terre.

Vous tous des villas et des banlieues, spectateurs, avec délices, de ce théâtre sanglant, la tragédie de Macbeth ne rassasie-t-elle plus votre soif d'horreurs, dont vous savouriez les angoisses au fond de vos loges sombres, que vous nous contraigniez maintenant à ce festin abominable ? C'est vous-même, c'est vous qui le payez, et y calculez encore votre profit. Les grenades éclatent parmi l'Alphabet ! Ce qui auparavant, avait de la valeur pour vous, nous le rejet- terons avec dégoût. Les larves doivent parvenir à la lumière de notre âme. Le jour de la connaissance approche ! Oui, nos ailes couvrent encore la vapeur du sang, que vous ne l'entendiez pas, que vous ne la voyiez pas, — mais les années viendront où nous ne viderons plus le calice jusqu'à la lie. Oui ; oui... elles viendront sur vous tous.

Un verrat, devant moi, couvre une truie. Sur son dos volète un canari échappé. A côté, sur un lit, gît un capi- taine français. Pâli, des bas de soie rouge éclairent ses jambes jusqu'au genou. Un membre, atteint çà et là, pend à son tronc, noir, décomposé. Mon œil le regarde sans pourrir. O cette image se creuse, s'enfonce en moi. Voici le chemin du symbole ! Oui ! la sainte vie, le bien le plus précieux de la création, vous avez osé y porter la main ! Dois-je, m'emparant du destin à la manière des Grecs, dévoiler le sens des augures et prononcer une prophétie ? Mais à quoi bon ? chaque chose a son temps, et bientôt sur ce champ de carnage, s'élèvera le hurlement des Eryn- nies.

Sur un mur, à côté d'une jumelle de campagne, détruite, la tête en plâtre de la Vénus de Milo. Derrière elle les nuages épais des grenades et des shrapnells. J'arrive à l'Etat- Major. Partout une agitation angoissée. Trois cents hommes de réserve passent. Les esprits deviennent nerveux. L'artil-

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