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SILBERMAXX 293

peut qu'elle soit conservée dans l'histoire comme celles qu'on nous fait apprendre aujourd'hui et dont on a marqué la chute des régimes.

Il avait quitté la fenêtre et était au milieu de la pièce, en proie à une agitation frénétique. Il prononça encore quelques paroles ; mais je ne les entendis pas, tant sa volubilité fut grande, comme s'il eût voulu précipiter la destruction qu'il prophétisait. Puis, il revint vers la fenêtre, et, désignant l'assemblée des prélats, il dit :

— Le dernier concile.

Ces mots détournèrent sa pensée. Et tandis qu'une sin- gulière expression sensuelle apparaissait sur son visage, il laissa échapper :

— Ah ! comme Chateaubriand eût dépeint cette scène !... Hein ! Vois-tu sa phrase ?

Et après une seconde de réflexion il déclama :

— Spoliés de leurs augustes palais, les princes du catho- licisme étaient réunis en plein air, comme les premiers serviteurs du Christ...

Mon esprit se trouvait à ce moment fort éloigné de la littérature. Il me semblait voir des adversaires abattus, mais des adversaires si proches que leur ruine m'atteignait. Je m'écartai de la fenêtre et entraînai Silbermann.

Maintenant de tels éclats étaient fréquents chez Silber- mann. Sa nature s'altérait. Il dénonçait constamment, avec une ironie amère, les injustices et les ridicules qu'il aper- cevait ; et même il allait jusqu'à considérer avec une hor- rible complaisance les malheurs des autres.

Comment ne pas l'excuser lorsqu'on songe à l'alarme profonde où vivait sa pensée ? Je m'avisai de cela un jour : nous causions tranquillement ensemble ; je fis, par hasard, un geste de la main ; il crut que j'allais le frapper et pro- tégea vivement son visage.

Puis, je m'aperçus à certains de ses propos combien il avait le sentiment que son ambition échouerait, combien il se savait rejeté par nous. C'est ainsi qu'il disait fréquem-

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