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300 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

noirci. Derrière lui, dans une bibliothèque de même bois, s'alignaient sous une monotone reliure de grosse toile, noire également, les livres juridiques. Sur ce fond sévère se détachait sa figure aux traits droits, privée d'élégance mais non d'un air de noblesse tant mon père y arborait de raideur.

Je lui dis bonsoir d'une voix imperceptible, car, à peine entré, il m'était apparu que ma démarche était insensée. Et, tout de suite, je lui annonçai que j'avais des renseignements à lui donner au sujet de l'affaire Silbermann. Je me mis à débi- ter d'une haleine tout ce que j'avais entendu le matin, les raisons politiques et les manœuvres suspectes de l'accusation, l'impossibilité où le père de mon ami était de prouver sa bonne foi, la nécessité d'un prompt non-lieu afin d'arrêter les attaques, enfin la version même dictée par Silbermann.

Où prenais-je l'audace et l'habileté nécessaires à ce plai- doyer, moi si timide d'ordinaire et silencieux à l'excès ? Je l'ignore. Il me semblait avoir devant la vue une flamme que rien de terrestre ne pouvait obscurcir et qui faisait rayonner dans mon esprit une chaleur extraordinaire. Ma mission, répétais-je en moi-même, ma mission !

Mon père m'avait écouté sans m'interrompre. Puis il me fit signe d'approcher.

« As-tu vu récemment cet homme, M. Silbermann ?

Je répondis que non.

— Alors, c'est par ton camarade que tu es informé de tout cela ?... C'est lui qui t'a sollicité d'intervenir, peut-être?

— C'est lui qui m'a rapporté la vérité, mais c'est ma conscience, père, ma conscience qui m'a conduit vers toi.

— Tu emploies les mots sans discernement, mon enfant. Ta conscience aurait dû au contraire t'interdire un acte qui risque de dévier la justice. Je n'ai pas encore pris connaissance des faits qui sont reprochés au père de ton ami. Je ne veux rien retenir de ce que tu viens de m'en dire, et je ne saurais préjuger la décision que je prendrai. »

A ces mots, je compris que j'échouais dans ma mission.

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