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302 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

constamment rigide et rarement émue, était devenue méconnaissable tant le soupçon et l'inquisition y impri- maient d'excitation et de vie. Elle s'était rapprochée de la mienne, et, les prunelles brillantes, le souffle pressant, elle m'interrogeait dans un langage muet, adroit et presque complice, que je comprenais aussi mal qu'un innocent l'argot des criminels.

Puis, cette expression disparut. Mon père réfléchit un moment. Enfin il me libéra lentement, et, levant l'index vers le ciel, il prononça ces mots :

« Je me garderai de te condamner sans preuves. Mais écoute-moi bien, mon enfant. Une amitié excessive telle que celle qui te lie à ce garçon, est toujours à éviter. Dans ce cas particulier, vu la situation présente de son père et la mienne, elle ne saurait subsister. Je te prie donc de ne plus le considérer comme un de tes camarades. »

Il avait repris sa physionomie habituelle. Et tandis que je me retirais à reculons de son cabinet, ayant devant les yeux son front empreint de justice et d'austérité, je m'avisai avec stupeur combien ces vertus irréprochables favorisaient les décisions inhumaines et les pensées indignes.

Le lendemain matin, je trouvai de nouveau Silbermann posté au coin de la rue. Il me demanda anxieusement le résultat de ma démarche. Je ne lui racontai pas la scène qui avait eu lieu. Je lui dis seulement que mon père ignorait encore l'affaire et qu'il ne m'avait rien promis.

« Mais qui pourrait agir sur lui ? dit Silbermann avec impatience... Un de ses collègues ? Une personnalité poli- tique?... Mon père en connaît plusieurs. »

Je haussai les épaules et le détrompai. Etait-il raisonnable de croire que celui qui avait accueilli si rudement la prière de son fils pût se laisser fléchir par un étranger ?

Silbermann reprit d'un ton accablé :

« Ce matin encore, il y a dans La Tradition Française un article terrible contre mon père. Maintenant que son cas

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