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SILBERMANN 323

retranchais mes sentiments trop vifs et réprimais mes beaux désirs.

Il me parut qu'on avait abusé de ma crédulité d'enfant ; et avec une sourde violence, je me dressai contre ceux dont j'avais été la dupe. J'évitai autant que je pus la com- pagnie de mes parents. Peu à peu je cessai même de leur adresser la parole.

Je ne sais ce qu'ils pensaient de ma conduite, car j'affec- tais d'ignorer leur présence et ne levais plus jamais les yeux sur eux. Néanmoins il m'arrivait parfois de les épier obliquement dans un miroir ou dans une surface polie, et j'apercevais alors le regard de ma mère désespérément atta- ché à ma personne.

Quelque temps passa. Je vivais dans un affreux ennui, n'ayant plus foi en la vertu et n'ayant point de goût pour le mal.

Un soir, comme je rentrais à la maison, je vis ma mère venue à ma rencontre dans l'antichambre. Elle tenait à la main un journal et me dit avec une émotion joyeuse :

— Ton père est nommé conseiller à la cour. La nou- velle est annoncée officiellement ce soir.

A ces mots, en dépit de mes efforts pour rester insen- sible, je ne pus réprimer un signe d'intérêt. C'est que cet avancement était attendu dans ma famille depuis des années. Maintes et maintes fois j'en avais entendu parler. Je savais qu'il marquait une étape considérable dans la carrière de mon père. Je n'ignorais pas l'activité déployée par ma mère pour le hâter. « Passer à la cour »... s'excla- mait-elle souvent en joignant les mains... Toutes ces pensées me remuaient malgré moi...

Ma mère discerna sans doute ce trouble. Elle dit grave- ment ces simples mots :

— Mon entant, ne te joindras-tu pas à nous en ce jour de bonheur ?

Je levai les yeux vers son visage. Depuis longtemps je

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