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35° LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

des pratiques divinatoires, des ordalies se trouvent à la fois défrichés et intégrés à une interprétation générale qui ressort de la confrontation des faits, avec un recours minimum à l'hypo- thèse. L'auteur peut maintenant se dispenser de rompre des lances contre les postulats simplistes de Tylor ou contre l'ani- misme de Frazer ; il a mieux à faire en laissant parler les docu- ments. Il conserve certes la conviction que la pensée primitive présente un caractère collectif, mais il s'abstient de toute préno- tion qui attesterait l'adhésion à un dogme de l'école sociologi- que. Une sorte de contre-épreuve des résultats acquis s'obtient par l'examen de la façon dont les sauvages réagissent en face des blancs : ces derniers leur font l'effet de sorciers ; leurs armes à feu passent pour tuer non par l'envoi d'un projectile, mais par la seule détonation ; leurs livres sont pris pour instruments de divination ; leurs soins médicaux, tenus pour une épreuve indis- crète de la patience du malade, épreuve qui mérite plutôt un dédommagement que de la reconnaissance. L'incompréhension de la mentalité primitive éclate plus encore, si possible, chez le médecin, imbu d'idées positives, que chez le missionnaire, dont l'apostolat offense les croyances des indigènes, mais qui parti- cipe du moins, lui aussi, à un certain mysticisme. Les admi- nistrateurs coloniaux, en se pénétrant de l'enseignement que leur donne M. Lévy-Bruhl, éviteraient bien des mécomptes et deviendraient moins incapables d'adapter la justice des blancs à celle des autres races. La science même y trouverait profit, car l'information que certains d'entre eux nous fournissent si pré- cieusement sur des mœurs ou des idées en voie de disparition ou d'altération, pourrait se recueillir plus impartiale, moins gâtée de préjugés européens, s'ils puisaient dans ces deux ouvrages une plus claire intelligence des peuples inférieurs.

La Mentalité Primitive, complétant les Fonctions mentales, marquera une phase décisive dans l'histoire de l'humanisme. Un pas important semble réalisé dans l'aptitude croissante de l'homme à se connaître lui-même. L'auteur sait se soustraire à la tentation, si spécieuse pour tant d'autres, d'expliquer préma- turément les civilisés par les sauvages, après que l'on eut si longtemps expliqué les sauvages par les civilisés. Personne moins que lui ne se fait d'illusions sur le concept de « primi- tifs », expression « bien impropre », mais imposée par l'usage :

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