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NOTES 501

surprenante et logicien à la française, il est le premier classique, le La Bruyère, ou plutôt le Théophraste anglais, et même sou- vent le Molière. « Vous qui avez honoré des monstres, dit-il, peut-être aimerez-vous des hommes », et, bien que moraliste, après avoir écrit tant de comédies, il invente encore les masques, ces ballets poétiques et allégoriques auxquels prenait part toute l'aristocratie anglaise un demi-siècle avant que Molière n'écri- vit, pour Louis XIV et sa cour, les Plaisirs de l'Ile enchantée. Il passait pour le plus grand écrivain de son temps. Certaines de ses pièces, pour ce qu'elles contiennent d'observation et de pen- sée, autant que par leur composition et leur style, sont exquises. Cependant, ni Every mon in bis humour, ni la Foire de la Saint- Barthèlemy (où, sous la figure de M. Busy, nous avons un Tar- tuffe puritain cinquante ans avant le Tartuffe jésuite de Molière), ni La Femme silencieuse, ni l'Alchimiste, ni le Renard, ni La Fête chei Cynthia n'ont été — je crois — traduits ou joués en fran- çais. Pas plus que le Juif de Malle, de Marlo\ve(où Shakespeare a pris son Shylock), ni son Edouard IL

On sent peut-être que, si j'évoque ici ces grands noms et ces œuvres essentielles, c'est parce que je regrette de leur voir pré- férer Beaumont et Fletcher, aristocrates égarés parmi les lettrés et les génies, et qui, en dépit de leur renommée, n'ont rien à nous offrir de véritable importance. « Mon charpentier a bâti dans un nuage, » dit un de leurs personnages ; et il semble bien que ces deux charpentiers-ci aient bâti dans les nuages aussi. Leur œuvre ne nous apporte guère que quelques scènes isolées qui vaillent d'être conservées ; encore faudrait-il les tirer d'un énorme fatras et laisser le reste enseveli sous le plus juste oubli. Je fais exception pour leur langue, souvent d'une poésie admi- rable, et pour leur esprit, assez rare, mais qu'ils auraient appli- qué avec fruit à se juger eux-mêmes. Ce n'était point qu'ils manquassent de fantaisie ; ils n'en avaient que trop ; et malheu- sement il faut le leur reprocher. Emportés par un talent facile, le désir d'éblouir, d'étourdir, de divertir (à quoi ils réussissaient parfaitement), leurs pièces ne sont construites que pour amener des situations bizarres, expliquer des travestis risqués et dénouer des intrigues d'une abasourdissante bêtise. Mais tout cela por- tait, faisait rire et rougir, amusait un public qui ressemblait probablement beaucoup à celui de nos boulevards d'aujour*

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